MN 18
Madhupiṇḍika Sutta
— Le récit du gâteau de miel —

Le Bouddha fait une déclaration énigmatique et le vénérable Mahakatchana en explique le sens.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait chez les Sakyas, dans le parc Nigrodha qui est proche de Kapilavatthu.

Un matin le Seigneur s’habilla de bonne heure, prit son bol et sa robe et se rendit à Kapilavatthu pour y mendier sa nourriture. Quand il eut parcouru Kapilavatthu en mendiant et fini son repas, en revenant de sa tournée d’aumônes, il s’approcha de la Grande Forêt pour y passer la journée. Il s’y enfonça et s’assit pour toute la journée au pied d’un jeune arbre vilva.

Or le Sakya Canne-en-main qui marchait beaucoup et se déplaçait constamment, s’approcha lui aussi de la grande forêt, y pénétra et parvint auprès du jeune arbre vilva au pied duquel se trouvait le Seigneur. Une fois là, il échangea des paroles courtoises avec le Seigneur et conclut leur dialogue aimable et mémorable en restant convenablement debout, appuyé sur sa canne. Ainsi debout, le Sakya Canne-en-main demanda au Seigneur :

—Que dit l’ascète ? Que proclame-t-il ?

—Il dit, mon ami, que dans ce monde avec ses dieux, ses Mâras et ses Brahmas, dans cette humanité avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, il ne s’attaque à personne, et que les perceptions souillées ne s’implantent pas chez le brahmane qui reste détaché des sens, ferme, stable, et qui ne désire plus aucune sorte d’existence. Voilà ce que je dis, mon ami, voilà ce que je proclame.

A ces mots, Canne-en-main hocha la tête, tira la langue et trois rides de perplexité se creusèrent sur son front. Puis il partit en s’aidant de sa canne.

Vers le soir le Seigneur sortit de la solitude et retourna au parc Nigrodha. Dès son arrivée il s’assit sur le siège préparé à son intention.

Une fois bien assis, le Seigneur dit aux moines :

—Je me suis habillé de bonne heure, moines, j’ai pris mon bol et ma robe et me suis rendu à Kapilavatthu pour y mendier ma nourriture… En revenant de ma tournée d’aumônes, je me suis approché de la Grande Forêt pour y passer la journée, je m’y suis enfoncé et me suis assis pour toute la journée au pied d’un jeune arbre vilva. Or le Sakya Canne-en-main… parvint auprès du jeune arbre vilva au pied duquel je me trouvais… et me demanda : “Que dit l’ascète ? Que proclame-t-il ?” Je lui répondis : “Il dit, mon ami, que dans ce monde avec ses dieux, ses Mâras et ses Brahmas, dans cette humanité avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, il ne s’attaque à personne, et que les perceptions souillées ne s’implantent pas chez le brahmane qui reste détaché des sens, ferme, stable, et qui ne désire plus aucune sorte d’existence. Voilà ce que je dis, mon ami, voilà ce que je proclame.” A ces mots, Canne-en-main hocha la tête, tira la langue et trois rides de perplexité se creusèrent sur son front. Puis il partit en s’aidant de sa canne. »

Ainsi parla le Seigneur.

Un moine lui demanda :

—Pourquoi le Seigneur dit-il que, dans ce monde avec ses dieux, ses Mâras, ses Brahmas, dans cette humanité avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, le Seigneur ne s’attaque à personne, et que les perceptions souillées ne s’implantent pas chez le Seigneur, ce brahmane qui reste détaché des sens, ferme, stable, et qui ne désire plus aucune sorte d’existence ?

—Quand on ne trouve, moine, rien d’attirant, rien d’appréhendable, rien de saisissable dans ce qui cause les perceptions souillées susceptibles d’envahir l’homme, c’est la fin de la tendance à s’attacher, la fin de la tendance à rejeter, la fin de la tendance à croire, la fin de la tendance à hésiter, la fin de la tendance à se surestimer, la fin de la tendance à s’attacher à l’existence, la fin de la tendance à s’aveugler, c’est la fin de l’envie de prendre le bâton ou de dégainer l’épée, la fin des querelles, des affrontements, des disputes, des accusations, des calomnies et des sarcasmes. Là disparaissent sans reste toutes les choses mauvaises et pernicieuses.

Ainsi parla le Seigneur.

Ayant ainsi parlé, le Bien-allé se leva et rentra dans son logis.

Le Seigneur venait de partir quand les moines se dirent :

—Le Seigneur s’est levé, mes amis, et il est rentré dans son logis sans avoir détaillé le sens de cette déclaration qu’il n’a formulée qu’en résumé : “Quand on ne trouve rien d’attirant… là disparaissent sans reste toutes les choses mauvaises et pernicieuses”. Qui pourrait nous détailler le sens de ce propos ?

Les moines eurent alors cette idée :

—Le vénérable Mahâkaccâna est loué par le Maître, il est estimé par ses sages compagnons dans la vie sainte, il serait capable de nous détailler le sens de cette déclaration que le Seigneur n’a formulé qu’en bref sans la détailler. Allons donc voir le vénérable Mahâkaccâna et demandons-lui de nous expliquer cette parole.

Les moines se rendirent donc auprès du vénérable Mahâkaccâna. Une fois là, ils échangèrent des paroles courtoises avec le vénérable Mahâkaccâna et conclurent leur dialogue aimable et mémorable en s’asseyant convenablement. Une fois bien assis, les moines dirent au vénérable Mahâkaccâna :

—Ami Kaccâna, le Seigneur s’est levé et il est rentré dans son logis sans nous avoir détaillé le sens de cette déclaration qu’il n’a formulée qu’en bref : “Quand on ne trouve rien d’attirant… là disparaissent sans reste toutes les choses mauvaises et pernicieuses”. Le Seigneur venait de partir quand nous nous sommes demandés : “Le Seigneur est parti sans avoir détaillé ce propos. Qui pourrait nous en détailler le sens ?” Nous avons alors pensé : “Le vénérable Mahâkaccâna… demandons-lui de nous expliquer cette formule.” Que le vénérable Mahâkaccâna veuille bien nous expliquer maintenant cet énoncé.

—Les vénérables, mes amis, se sont conduits comme des hommes qui ont besoin de moelle d’arbre, qui en cherchent, qui vont à sa recherche, mais qui ignorent la racine et le tronc d’un grand arbre contenant une telle moelle et qui espèrent la trouver dans les branches et les feuilles. Car lorsque vous étiez en présence du Maître, vous l’avez laissé partir et vous avez pensé à nous demander le sens de cette expression.

« Or, mes amis, le Seigneur connaît ce qu’il faut connaître et voit ce qu’il faut voir, il est l’œil, il est la connaissance, il est le dhamma, il est Brahma, il parle et il agit, il guide vers le But ultime et procure l’Immortalité, il est le Maître du dhamma et le Tathâgata. Il y eut ce moment où vous auriez pu demander le sens au Seigneur lui-même et où vous auriez pu retenir ce sens comme le Seigneur vous l’aurait expliqué.

—En effet, ami Kaccâna, le Seigneur connaît ce qu’il faut connaître et voit ce qu’il faut voir, il est l’œil, il est la connaissance, il est le dhamma, il est Brahma, il parle et il agit, il guide vers le But ultime et procure l’Immortalité, il est le Maître du dhamma et le Tathâgata. Et il y eut ce moment où nous aurions pu demander le sens au Seigneur lui-même et le retenir comme le Seigneur nous l’aurait expliqué. Mais le vénérable Mahâkaccâna est loué par le Maître, il est estimé par ses sages compagnons dans la vie sainte, il est capable de nous détailler le sens de cette parole que le Seigneur n’a formulée qu’en bref sans la détailler. Que le vénérable Mahâkaccâna veuille bien nous expliquer maintenant cet énoncé si cela ne lui pèse pas.

—Alors, mes amis, écoutez bien et prêtez attention, je vais parler.

—Bien, mon ami, lui répondirent les moines.

Et le vénérable Mahâkaccâna leur dit ceci :

—Voilà, mes amis, comment je discerne le sens détaillé de ce propos que le Seigneur n’a formulé qu’en bref sans le détailler :

« A cause de l’œil (faculté de voir) et d’un objet visible se produit une conscience oculaire (conscience de l’objet vu), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact, un ressenti (agréable, désagréable ou neutre). Ce qu’on ressent, on le perçoit. Ce qu’on perçoit, on le saisit mentalement. Ce qu’on saisit mentalement, on le développe. Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des objets visibles passés, futurs ou présents perceptibles par l’œil.

« A cause de l’oreille (faculté d’entendre) et d’un son se produit une conscience auriculaire (conscience du son entendu), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des sons passés, futurs ou présents perceptibles par l’oreille.

« A cause du nez (faculté de sentir les odeurs) et d’une odeur se produit une conscience nasale (conscience de l’odeur sentie), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des odeurs passées, futures ou présentes perceptibles par le nez.

« A cause de la langue (faculté de sentir les saveurs) et d’une saveur se produit une conscience nasale (conscience de la saveur goûtée), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des saveurs passées, futures ou présentes perceptibles par la langue.

« A cause du corps (faculté de sentir les touchers) et d’un toucher (extérieur ou intérieur) se produit une conscience corporelle (conscience du toucher ressenti), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des touchers passés, futurs ou présents perceptibles par le corps.

« A cause de la faculté de connaître et d’une chose connaissable se produit une conscience mentale (conscience de la chose connaissable), et la rencontre des trois est un contact. En raison du contact… Et suite à cette extension, des perceptions souillées envahissent l’homme ; elles concernent des objets passés, futurs ou présents perceptibles par la faculté de connaître.

« Quand il y a, mes amis, à la fois l’œil, un objet visible et une conscience oculaire, on peut discerner le contact. Si le contact est reconnu, il est possible de discerner le ressenti. Le ressenti étant reconnu, il est possible de discerner la perception. La perception étant reconnue, il est possible de discerner la saisie mentale. La saisie mentale étant reconnue, il est possible de reconnaître l’envahissement par diverses perceptions souillées.

« Quand il y a à la fois l’oreille, un son et une conscience auriculaire…

« Quand il y a à la fois le nez, une odeur et une conscience nasale…

« Quand il y a à la fois la langue, une saveur et une conscience linguale…

« Quand il y a à la fois le corps, un toucher et une conscience corporelle…

« Quand il y a à la fois la faculté de connaître, une chose connaissable et une conscience mentale…

« Mais en revanche, mes amis, quand il n’y a pas d’œil, pas d’objet visible ou pas de conscience oculaire, on ne peut pas discerner de contact. Si le contact n’est pas reconnu, il n’est pas possible de discerner un ressenti. Si le ressenti n’est pas reconnu, il n’est pas possible de discerner une perception. Si la perception n’est pas reconnue, il n’est pas possible de discerner une saisie mentale. Et si la saisie mentale n’est pas reconnue, il n’est pas possible non plus de reconnaître l’envahissement par diverses perceptions souillées.

« Quand il n’y a pas d’oreille, pas de son ou pas de conscience auriculaire…

« Quand il n’y a pas de nez, pas d’odeur ou pas de conscience nasale…

« Quand il n’y a pas de langue, pas de saveur ou pas de conscience linguale…

« Quand il n’y a pas de corps, pas de toucher ou pas de conscience corporelle…

« Quand il n’y a pas de faculté de connaître, pas de chose connaissable ou pas de conscience mentale…

« Voici, mes amis, comment je discerne le sens détaillé de l’expression que le Seigneur n’a formulée qu’en résumé sans la détailler. Si vous le désirez, vénérables, vous pouvez aller trouver le Seigneur, lui demander le sens et retenir celui-ci comme le Seigneur vous l’aura expliqué. »

Les moines furent satisfaits des paroles du vénérable Kaccâna et ils s’en réjouirent. Puis ils se levèrent et allèrent voir le Seigneur. Ils saluèrent le Seigneur en arrivant et s’assirent convenablement.

Une fois bien assis, les moines racontèrent au Seigneur :

—Le Seigneur s’est levé et il est rentré dans son logis sans nous avoir détaillé le sens de cette déclaration… Le Seigneur venait de partir quand nous nous demandâmes : “… Qui pourrait nous détailler le sens de cette expression?… Le vénérable Mahâkaccâna serait capable de nous expliquer le sens…” Nous nous sommes rendus auprès du vénérable Mahâkaccâna, nous lui avons demandé le sens et le vénérable nous l’a détaillé de telle façon en utilisant telles phrases et tels mots.

—Mahâkaccâna est savant, moines, il est très sagace. Si vous m’aviez demandé le sens, moines, je vous l’aurais expliqué de la même façon que Mahâkaccâna. Le sens est bien celui-ci, retenez-le ainsi.

Ainsi parla-t-il.

Alors le vénérable Ânanda s’adressa au Seigneur :

—Quand un homme très affaibli par la faim, Seigneur, trouve un gâteau de miel, plus il le savoure, plus il lui trouve une saveur exquise et délicieuse. De même, Seigneur, plus un moine réfléchi et capable examine avec sagacité cette méthode, plus il y trouve de satisfaction et plus son esprit devient clair. Comment s’appelle cette méthode, Seigneur ?

—Retiens cette méthode en accord avec tes propos, Ânanda, comme la méthode du gâteau de miel.

Ainsi parla la Seigneur.

Le vénérable Ânanda fut satisfait des paroles du Seigneur et il s’en réjouit.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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