MN 5
Anaṅgaṇa Sutta
— L'absence d'erreur —

Dans ce discours, donné à la requête du Vén. Mahâ Moggallâna, le Vén. Sâriputta explique quatre types d'individus. a) une personne impure qui sait qu'elle l'est, b) une personne impure qui ne sait pas qu'elle l'est, c) une personne pure qui connaît sa propre pureté, et d) une personne pure qui ignore sa propre pureté.




Traduction de Michel Proulx, d'après la traduction de Jean Bertrand-Bocandé


Ainsi l'ai-je entendu.

Une fois, le Bhagavat résidait à Sâvatthi, dans le parc Jeta, au monastère d'Anâthapindika. Là, le vénérable Sâriputta s'adressa aux moines:

"Frères moines !"

-- "Frère", répondirent ces moines au vénérable Sâriputta.

Le vénérable Sâriputta parla ainsi:

Il y a dans le monde quatre sortes d'hommes, ô frères. Quels sont ces quatre? Voici, ô frères: quelqu'un qui, étant dans l'erreur, le sait; quelqu'un qui, étant dans l'erreur ne le sait pas; quelqu'un qui, n'étant pas dans l'erreur, ne sait qu'il n'est pas dans l'erreur; et quelqu'un qui, n'étant pas dans l'erreur, le sait exactement.

Cette personne, ô frères, qui est dans l'erreur et ne le sait pas, est appelée la plus mauvaise des deux personnes qui sont dans l'erreur. -- Et cette personne qui est dans l'erreur, mais qui le sait, est appelée la meilleure des deux. -- Cette personne, qui n'est pas dans l'erreur et ne sait pas qu'elle ne l'est pas, est appelée la plus mauvaise des deux personnes qui ne sont pas dans l'erreur. -- Et celle qui n'est pas dans l'erreur et le sait exactement, est appelée la meilleure des deux personnes qui ne sont pas dans l'erreur."

Alors, le vénérable Mhâmoggallâna s'adressa comme suit au vénérable Sâriputta:

--Pour quelle raison, pour quelle cause est-ce le cas?

Sâriputta répondit:

-- Cette personne qui est dans l'erreur, mais ne le sait pas, n'aura aucune volonté, ne fera aucun effort pour en sortir et mourra avec de l'attachement, de l'aversion et de l'ignorance, dans l'erreur et l'impureté. C'est comme si on a un bol de métal acheté au marché ou chez un artisan, et qu'il reste poussiéreux et taché, qu'on ne s'en sert ni ne le nettoie, ce bol, au fil du temps, sera de plus en plus sale. Celle qui est dans l'erreur et le sait, par contre, aura l'envie, fera l'effort et luttera pour détruire son erreur et mourra sans attachement, sans aversion et sans ignorance, avec l'esprit pur. Elle sera comme notre bol de métal qui sera propre et brillant si on s'en sert et si on le lave fréquemment. Celle qui n'est pas dans l'erreur et ne le sait pas, lorsqu'elle pensera à quelque chose d'agréable laissera l'attachement envahir son esprit, et mourra avec de l'attachement, de l'aversion et de l'ignorance, dans l'erreur et l'impureté. Ce sera comme notre bol, ramené à la maison propre et brillant, et qu'on laisserait ensuite se couvrir de poussière et de saleté. Celle qui n'est pas dans l'erreur et le sait ne laissera pas l'attachement envahir son esprit, et mourra sans attachement, sans aversion et sans ignorance, sans erreur et l'esprit pur. Ce sera comme notre bol de métal, propre et brillant, qu'on lave et entretient régulièrement, et qui avec le temps est encore plus brillant et propre qu'à l'origine. Telle est donc la raison, et la cause de ce que deux de ces personnes sont meilleures que les autres.

Mais qu'entend-on donc par "impureté"? Ce sont les actions déméritoires causées par de mauvaises tendances. Par exemple, on peut avoir une circonstance où un moine a commis une transgression, mais souhaiterait que la communauté ne le sache pas. Dans le où les moines l'accuseraient devant la communauté et non en secret. Il en deviendrait chagrin et contrarié. Ce chagrin et cette contrariété sont tous deux des impuretés. Il pourrait y avoir une circonstance où un moine, ayant commis une transgression, souhaiterait être accusé par un égal et non un inférieur. Si alors, c'est un inférieur qui l'accuse, il sera aussi chagrin et contrarié, et ce seront donc des impuretés.

Supposons que le moine souhaite que le maître l'interroge à lui et pas aux autres. Si le maître questionne un autre moine, le nôtre sera encore une fois chagrin et contrarié. S'il souhaite que ses collègues le mettent à leur tête en entrant dans un village pour y aller mendier, et qu'ils mettent quelqu'un d'autre en tête, il sera chagrin et contrarié. S'il souhaite être le premier à recevoir au repas la première place et qu'un autre bénéficie de cet honneur, il sera chagrin et contrarié. Ou encore s'il souhaite, après le repas, que ce soit lui qui ait la parole, et que c'en est un autre, il sera chagrin et contrarié. S'il veut être celui qui est chargé d'enseigner la doctrine aux autres, et qu'un autre que lui est choisi pour cela, il sera chagrin et contrarié. De même s'il s'agit d'enseigner aux nonnes, aux laïcs ou aux laïques, bénéficier du respect des autres moines, des nonnes, des laïcs et des laïques, en être vénéré, recevoir en don des robes fines, des nourritures délicieuses, des habitations confortables, les meilleurs remèdes, et que ces souhaits ne se réalisent pas, il deviendra chagrin et contrarié, et ce chagrin et cette contrariété sont tous deux des impuretés.

O frères, si ces actions déméritoires, sont vues et entendues sans être détruites, le moine aura beau demeurer en forêt ou au désert, vivre d'aumônes mendiées de porte en porte, porter des robes de haillons, ses frères moines ne le respecteront pas, ne le salueront pas, ne le vénèreront pas. De même, si on ramène chez soi un bol en métal propre et brillant, mais qu'on y met des charognes que l'on recouvre précieusement comme si c'étaient des nourritures de choix, ceux qui verront cela seront figés d'horreur et de dégoût et même les affamés ne voudraient pas en manger.

Par contre, si ces actions déméritoires sont vues et entendues comme ayant été détruites, alors le moine aura beau accepter des invitations et porter des robes données par les chefs de famille, se frères le salueront et le respecteront. Ainsi, notre bol, si propre et brillant, si l'on y met des nourritures de choix, réjouira tous ceux qui le verront, et même les repus y retrouveraient l'appétit.

Alors le vénérable Mahâmoggallâna dit au vénérable Sâriputta: "Ça me rappelle une fois où je demeurais dans la montagne de Rajagaha. Un matin, ayant revêtu mes robes et pris mon bol, j'allai en ville pour demander l'aumône. A ce moment, le jeune charron Samiti taillait la jante d'une roue de char. L'ascète errant Panduputto qui avait auparavant été lui-même charron se tenait près de lui et se disait qu'il faudrait qu'il taille les bosses, les ondulations et les défauts de la jante, et à ce moment-même, Samiti faisait comme il avait pensé. Paduputto dit alors ces paroles de contentement: "Il taille vraiment comme si son coeur comprenait le mien".

Il y a de même des gens sans confiance qui ont quitté leur foyer sans foi, seulement pour assurer leur vie, qui sont rusés, fourbes et tortueux, fiers et arrogants, légers, bavards et verbeux, sans contrôle des sens, mangeant sans modération, ne pratiquant pas la vigilance, n'attendant pas de résultat de la vie monastique, sans respect pour les préceptes, ayant trop de possessions, relâchés, s'adonnant aux plaisirs et sans penchant pour la solitude, inconstants et d'esprit dispersé, sots et insensés, ceux-là, le vénérable Sâriputta les taille par cette instruction comme si son coeur connaissait le leur.

Et s'il y a des fils de famille qui avec confiance ont quitté leur foyer avec foi, qui ne sont ni rusés, ni fourbes ni tortueux, ni fiers ni arrogants, ni légers, ni bavards ni verbeux, ayant le contrôle des sens, mangeant avec modération, pratiquant la vigilance, attendant le résultat de la vie monastique, ayant le respect des préceptes, n'ayant pas de possessions, non relâchés, s'adonnant à la solitude et sans penchant pour les plaisirs, vigoureux et forts, attentifs et appliqués, concentrés et d'esprit tranquille, sages et avisés, ceux-là, il me semble, ayant entendu cette instruction du vénérable Sâriputta la boivent et la mangent vraiment par les mots et par l'esprit. Ils sont comme une jeune femme ou un adolescent, qui, après le bain, aiment à se parer de guirlandes de lotus, de jasmin ou de frangipanier.

Il serait bon, vénérable Sâriputta, que le sangha des moines, ayant abandonné le mal, s'établisse dans le bien.

C'est ainsi que ces deux grands hommes s'approuvèrent l'un l'autre.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Jean Bertrand-Bocandé sous la haute direction du Vénérable Bhikkhu Dr. W. Rahula (B.A. London), édité par Michel Proulx.

———oOo———
Publié comme un don du Dhamma,
pour être distribué librement, à des fins non lucratives.
Toute réutilisation de ce contenu doit citer ses sources originales.