MN 118
Ānāpānassati Sutta
— Le récit de la vigilance à l’inspiration-expiration —

Voici le célèbre discours sur la pratique d'ānāpānasati où le Bouddha explique comment la présence de l'esprit sur la respiration permet de développer les satipaṭṭhānas et les facteurs de l'éveil.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait près de Sâvatthi dans le palais Migâramâtu du parc de l’Est avec un grand nombre de disciples confirmés bien connus et fameux pour leurs qualités. Il y avait le vénérable Sâriputta, le vénérable Mahâmoggallâna, le vénérable Mahâkassapa, le vénérable Mahâkaccâyana, le vénérable Mahâkoṭṭhita, le vénérable Mahâkappina, le vénérable Mahâcunda, le vénérable Anuruddha, le vénérable Révata, le vénérable Ânanda et d’autres disciples confirmés bien connus et fameux pour leurs qualités.

À cette époque les moines confirmés enseignaient (les bases) aux novices et les instruisaient (de la méthode), certains confirmés à dix novices, d’autres à vingt, d’autres à trente et d’autres à quarante novices. Ainsi enseignés et bien instruits par les anciens, les novices connaissaient une excellence de plus en plus élevée.

Lors de l’uposatha du quinzième jour, pendant la nuit de la pleine lune qui devait clôturer la retraite de mousson (pavāraṇā), le Seigneur s’assit en plein air, entouré par la communauté des moines. Il observa la communauté qui gardait le silence. Puis il s’adressa aux moines :

—Je suis satisfait de cette voie (paṭipadā), moines, j’en suis ravi. Par conséquent, mettez encore plus d’énergie pour acquérir ce que vous n’avez pas encore acquis, pour atteindre ce que vous n’avez pas encore atteint et pour voir de vos propres yeux ce que vous n’avez pas encore vu (l’Accomplissement). Je vais rester ici-même près de Sâvatthi jusqu’à Komudî (fête de la pleine lune) du quatrième mois (de la mousson) .

Les moines de la région apprirent que le Seigneur resterait au même endroit près de Sâvatthi pendant le quatrième mois jusqu’à la fête de Komudî. Ils convergèrent vers Sâvatthi pour voir le Seigneur. Les moines confirmés enseignèrent et instruisirent les novices encore plus intensément. Certains le firent pour dix novices, d’autres pour vingt, d’autres pour trente et d’autres pour quarante. Ainsi enseignés et instruits par les anciens, les novices atteignirent une excellence encore plus élevée.

Lors de l’uposatha du quinzième jour, pendant la nuit de la pleine lune qui clôturait la retraite de mousson à l’occasion de la fête de Komudî du quatrième mois, le Seigneur, entouré par la communauté des moines, s’assit en plein air. Il observa la communauté des moines qui gardait le silence, puis il s’adressa aux moines :

—Cette assemblée ne bavarde pas, moines, elle a délaissé les bavardages, elle reste pure et fixée sur l’essentiel. Une telle communauté monastique, une assemblée de cette sorte, mérite les dons, mérite les présents, mérite les cadeaux, mérite les salutations mains jointes et constitue le suprême champ de mérite dans le monde. Cette communauté, cette assemblée est telle qu’un petit don a de grands (effets) et qu’un grand don en a plus encore. Il est difficile de trouver dans le monde une telle communauté, une assemblée de cette sorte, et cela vaudrait la peine de voyager même sur de grandes distances avec un sac à provisions afin de voir une telle communauté, une assemblée de cette espèce. Voilà ce que représente cette communauté monastique, voilà ce que vaut cette assemblée.

Il y a, moines, dans cette communauté des moines accomplis (arahanto) qui ont éliminé les contaminations, franchi les étapes, fait ce qui était à faire, déposé le fardeau, atteint le But, détruit les chaînes de l’existence et obtenu la Délivrance grâce à une connaissance parfaite. Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui ont éliminé les cinq chaînes inférieures et qui atteindront le complet Dénouement dans le monde où ils renaîtront par apparition sans revenir ici. Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui ont éliminé trois chaîneset affaibli l’attachement, l’aversion et la confusion, ils ont acquis l’état d’Un-seul-retour et reviendront une seule fois en ce monde avant de mettre fin au malheur (dukkha). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui ont éliminé trois chaînes et sont entrés dans le courant, ils ne peuvent plus retomber et sont assurés d’accéder au plein Éveil. Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer les quatre vigilances (satipaṭṭhāna). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer les quatre efforts justes (sammappadhāna). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer les quatre bases de réussite (iddhipāda). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer les cinq facultés (indriya). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer les cinq forces (bala). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer les sept facteurs de l’Éveil (bojjhaṅga). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer le pur (ariya) chemin (magga) à huit éléments. Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer la bienveillance (mettā). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer la pitié (karuṇa). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer la joie (muditā). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer le regard-neutre (upekhā). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à travailler sur la laideur (asubha). Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

« Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer la perception du temporaire (anicca) . Oui, il y a de tels moines dans cette communauté.

Il y a dans cette communauté des moines qui s’attachent à développer la vigilance à l’inspir-expir (ānāpānasati). Quand la vigilance à l’inspir-expir est cultivée et beaucoup pratiquée, elle produit de grands effets et procure quantité d’avantages. Quand la vigilance à l’inspir-expir est cultivée et beaucoup pratiquée, elle parachève les quatre vigilances. Quand les quatre vigilances sont cultivées et beaucoup pratiquées, elles parachèvent les sept facteurs de l’Éveil. Quand les sept facteurs de l’Éveil sont cultivés et beaucoup pratiqués, ils parachèvent la Délivrance-sapience (vijjā-vimutti).

« Comment, moines, cultiver la vigilance à l’inspir-expir, comment la pratiquer beaucoup pour qu’elle produise de grands effets et procure quantité d’avantages ?

Voici : un moine va dans la forêt, au pied d’un arbre ou dans un habitat vide. Il s’assied, croise les jambes, redresse le corps, puis il établit la vigilance devant lui. Vigilant, il inspire. Vigilant, il expire.

Quand il inspire longuement, il reconnaît qu’il inspire longuement.

Quand il expire longuement, il reconnaît qu’il expire longuement.

Quand il inspire brièvement, il reconnaît qu’il inspire brièvement.

Quand il expire brièvement, il reconnaît qu’il expire brièvement.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en connaissant toute la collection (des inspirs-expirs)”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en apaisant l’activité corporelle (kāyasaṅkhāra)”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en connaissant le ravissement (pīti)”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en connaissant la félicité (sukha)”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en connaissant l’activité mentale (cittasaṅkhāra )”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en apaisant l’activité mentale”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en connaissant l’état intérieur (citta, qualité de conscience)”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en rendant joyeux l’état intérieur”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en concentrant l’état intérieur”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en libérant l’état intérieur”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en contemplant le temporaire (anicca)”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en contemplant le détachement (virāga)”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en contemplant l’Arrêt (nirodha)”.

Il s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en contemplant le Lâcher-prise (paṭinissagga)”.

« Comment, moines, cultiver la vigilance à l’inspir-expir et la pratiquer beaucoup pour qu’elle parachève les quatre vigilances ?

Lorsque le moine reconnaît qu’il inspire longuement au moment où il inspire longuement, reconnaît qu’il expire longuement… inspire brièvement… expire brièvement au moment où il expire brièvement, ou lorsqu’il s’exerce à inspirer ou à expirer en connaissant toute la collection, ou lorsqu’il s’exerce à inspirer ou à expirer en apaisant l’activité corporelle, il contemple une collection parmi la collection. À ce moment il demeure ardent, pleinement conscient, vigilant, ayant chassé convoitise pour le monde et insatisfaction, et je dis qu’il contemple l’une des collections corporelles : celle des inspirs et des expirs. Par conséquent, ce moine contemple bien une collection parmi la collection tout en demeurant ardent, pleinement conscient, vigilant, en ayant chassé convoitise pour le monde et insatisfaction.

Quand le moine s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en connaissant le ravissement… en connaissant la félicité… en connaissant l’activité mentale… ou en apaisant l’activité mentale”, il contemple un ressenti parmi les ressentis. À ce moment-là il demeure ardent, pleinement conscient, vigilant, ayant chassé convoitise pour le monde et insatisfaction, et je dis qu’il (contemple) un ressenti (agréable) parmi les ressentis (possibles), à savoir une bonne prise en considération des inspirs et des expirs. Par conséquent, ce moine contemple bien un ressenti parmi les ressentis tout en demeurant ardent, pleinement conscient, vigilant, en ayant chassé convoitise pour le monde et insatisfaction.

Quand le moine s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en connaissant l’état intérieur… en rendant joyeux l’état intérieur… en concentrant l’état intérieur… ou en libérant l’état intérieur”, il contemple un état d’être dans l’état d’être. À ce moment il demeure ardent, pleinement conscient, vigilant, ayant chassé convoitise pour le monde et insatisfaction, mais je ne recommande pas la culture de la vigilance à l’inspir-expir si la vigilance est défaillante ou en l’absence de pleine conscience. Par conséquent, ce moine contemple bien un état d’être dans l’état d’être tout en demeurant ardent, pleinement conscient, vigilant, en ayant chassé convoitise pour le monde et insatisfaction.

Quand le moine s’exerce : “J’inspirerai… J’expirerai en contemplant le temporaire… en contemplant le détachement… en contemplant l’Arrêt… ou en contemplant le Lâcher-prise”, il contemple un connaissable (dhamma) parmi les connaissables. À ce moment il demeure ardent, pleinement conscient, vigilant, ayant chassé convoitise pour le monde et insatisfaction. Il voit avec sagacité l’élimination de cette convoitise ou de cette insatisfaction et il acquiert ainsi une vision encore plus aiguë. Par conséquent, ce moine contemple bien un connaissable parmi les connaissables tout en demeurant ardent, pleinement conscient, vigilant, en ayant chassé convoitise pour le monde et insatisfaction.

Voilà, moines, comment la vigilance à l’inspir-expir, cultivée et beaucoup pratiquée, parachève les quatre vigilances.

« Et comment, moines, cultiver et beaucoup pratiquer les quatre vigilances pour qu’elles parachèvent les sept facteurs de l’Éveil ?

Dans le cas où le moine qui contemple l’une des collections corporelles… l’un des ressentis… l’un des états intérieurs… ou l’un des connaissables, demeure ardent, pleinement conscient, vigilant et abandonne convoitise pour le monde et insatisfaction, sa vigilance s’établit sans faiblir. Quand la vigilance est stabilisée sans faille, le moine la prend comme un facteur de l’Éveil, la cultive et porte ce facteur d’Éveil vigilance (sati-sambojjhaṅga) à son apogée.

Quand il a acquis une telle vigilance, le moine examine cet élément avec sagacité (comme temporaire, etc.), il l’inspecte et réussit à l’évaluer complètement. Quand le moine a examiné cet élément avec sagacité, l’a inspecté et a réussi à l’évaluer complètement, il prend l’examen de cet élément comme un facteur de l’Éveil, il le cultive et porte le facteur d’Éveil examen-de-l’élément (dhammavicaya-sambojjhaṅga) à son apogée.

« Quand le moine… a amené ce facteur d’Éveil à son apogée, l’énergie a été mise en œuvre sans faiblesse aucune. Quand l’énergie a été mise en œuvre de cette façon, le moine la prend comme un facteur de l’Éveil, la cultive et porte le facteur d’Éveil énergie (viriya-sambojjhaṅga) à son apogée.

Chez le moine qui a acquis une telle énergie, un ravissement raffiné apparaît. Quand ce ravissement raffiné se manifeste, le moine le prend comme un facteur de l’Éveil, le cultive et porte le facteur d’Éveil ravissement (pīti-sambojjhaṅga) à son apogée.

Quand le moine est ravi, son corps s’apaise, et son esprit s’apaise aussi. Il prend cette tranquillité comme un facteur de l’Éveil, la cultive et porte le facteur d’Éveil tranquillité (passaddhi-sambojjhaṅga) à son apogée.

Quand le corps est tranquille et à l’aise, l’esprit se concentre intensément. À cette occasion le moine saisit le facteur d’Éveil concentration (samādhi-sambojjhaṅga), le cultive et le porte à son apogée.

Quand l’esprit est bien concentré de cette manière, le moine acquiert le regard-neutre supérieur. Dans ce cas il saisit le facteur d’Éveil regard-neutre (upekhā-sambojjhaṅga), le cultive et le porte à son apogée.

Voilà, moines, comment cultiver et beaucoup pratiquer les quatre vigilances pour qu’elles parachèvent les sept facteurs de l’Éveil.

« Et comment, moines, cultiver et beaucoup pratiquer les sept facteurs de l’Éveil pour qu’ils parachèvent la Délivrance-sapience ?

Voici : le moine développe le facteur d’Éveil vigilance qui s’appuie sur l’isolement (viveka), s’appuie sur le détachement (virāga), s’appuie sur l’Arrêt (nirodha) et tend au Renoncement (vossagga). Il développe le facteur d’Éveil examen-de-l’élément… le facteur d’Éveil énergie… le facteur d’Éveil ravissement… le facteur d’Éveil tranquillité… le facteur d’Éveil concentration… le facteur d’Éveil regard-neutre qui s’appuie sur l’isolement, s’appuie sur le détachement, s’appuie sur l’Arrêt et tend au Renoncement. Voilà comment cultiver et beaucoup pratiquer les sept facteurs d’Éveil pour qu’ils parachèvent la Délivrance-sapience (le Dénouement, nibbāna, qui est le fruit de la sapience, vijjā). »

Ainsi parla le Seigneur.

Les moines furent satisfaits et se réjouirent des paroles du Seigneur.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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