MN 38
Mahā Taṇhāsaṅkhaya Sutta
— Le grand récit de la suppression de toute soif —

Un bhikkhou défend l'idée que ce serait la même conscience qui transmigrerait d'une vie à l'autre. Le Bouddha le réprimande et lui fait un long discours sur l'apparition dépendante, montrant comment tous les phénomènes de l'existence apparaissent et cessent de manière conditionnée.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Sâvatthi, dans le Parc Anâthapiṇḍika du Bois Jéta.

Or un moine du nom de Sâti, fils d’un pêcheur, eut cette idée fausse : “Tel que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur, c’est assurément la conscience (viññāṇa) qui se meut et qui transmigre sans s’altérer ”.

Plusieurs moines apprirent que Sâti avait cette idée fausse, ils allèrent le trouver et lui demandèrent :

—Est-il vrai comme on le dit, ami Sâti, que tu nourris cette idée : “Tel que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur, la conscience se meut et transmigre sans s’altérer” ?

—C’est bien ainsi, mes amis, que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur.

Désirant détourner Sâti de cette croyance fallacieuse, les moines l’interrogèrent, le pressèrent de questions et le sermonnèrent :

—Ne parle pas ainsi, ami Sâti, ne contredis pas le Seigneur car il n’est pas bon de le contredire. Le Seigneur ne parle pas ainsi, il a au contraire déclaré de différentes façons que chaque conscience est produite sous conditions ; hors de ces conditions aucune conscience ne se produit.

Bien qu’interrogé, pressé de questions et sermonné par les moines, Sâti s’en tenait obstinément à son idée fausse, il répétait avec entêtement : “Tel que je discerne le dhamma qu’enseigne le Seigneur, c’est bien la conscience qui se meut et qui transmigre sans s’altérer”.

Comme ils n’arrivaient pas à détourner Sâti de sa croyance fallacieuse, les moines allèrent trouver le Seigneur. Ils le saluèrent en arrivant et s’assirent convenablement. Une fois bien assis, ces moines racontèrent au Seigneur tout ce qui s’était passé.

Alors le Seigneur s’adressa à un moine :

—Va de ma part, moine, convoquer le moine Sâti, fils d’un pêcheur, en lui disant : “Le Seigneur te convoque, ami Sâti”.

—Bien, Seigneur.

Le moine obéit au Seigneur, alla trouver Sâti et lui dit :

—Le Seigneur te convoque, ami Sâti.

—Bien, mon ami.

Sâti obéit, se rendit auprès du Seigneur qu’il salua en arrivant, et s’assit convenablement.

Quand il fut bien assis, le Seigneur lui demanda :

—Est-il vrai comme on le dit, ami Sâti, que tu nourris cette idée : “Tel que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur, c’est assurément la conscience qui se meut et qui transmigre sans s’altérer” ?

—C’est bien ainsi, Seigneur, que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur : la conscience se meut et transmigre sans s’altérer.

—Quelle est cette conscience (que tu mentionnes), Sâti ?

—C’est ce qui parle, Seigneur, qui ressent et qui éprouve ici et là les effets des bonnes et des mauvaises actions.

—A qui donc crois-tu, homme d’illusion, que j’ai enseigné le dhamma de cette façon ? N’ai-je pas dit de différentes façons que la conscience est produite sous conditions ? Que hors de ces conditions aucune conscience ne se produit ? Mais toi, homme d’illusion, tu m’as contredis par ta mauvaise compréhension, tu t’es discrédité et t’es créé beaucoup de démérite. Cela te vaudra nuisances et malheurs pour longtemps.

Puis le Seigneur s’adressa aux moines :

—Pensez-vous, moines, que le moine Sâti brille dans ce dhamma-vinaya ?

—Comment cela se pourrait-il, Seigneur ? Certainement pas !

À ces mots, Sâti resta muet sur son siège, accablé, les épaules tombantes, la tête baissée, anéanti, hébété. Voyant que Sâti demeurait ainsi, le Seigneur lui prédit :

—Tu resteras célèbre, homme d’illusion, pour ta croyance erronée. À présent je vais interroger les moines.

Et le Seigneur demanda aux moines :

—Comprenez-vous mon enseignement, moines, comme Sâti, ce fils de pêcheur, qui m’a contredit par sa mauvaise compréhension, qui s’est discrédité et s’est créé beaucoup de démérite ?

—Non, Seigneur. Car le Seigneur a dit de maintes façons que la conscience est produite sous conditions ; aucune conscience ne se produit en dehors de ces conditions.

—Bien, moines ! Il est bon que vous compreniez ainsi le dhamma que j’enseigne. Car j’ai en effet dit de plusieurs façons que la conscience est produite sous conditions et qu’il n’y a pas de production de conscience en dehors de ces conditions. Et malgré cela, ce moine Sâti m’a contredit par sa mauvaise compréhension, il s’est discrédité et s’est créé beaucoup de démérite. Cela vaudra à cet homme d’illusion nuisances et malheurs pour longtemps.

« La conscience, moines, tire son nom de la condition dont dépend sa formation : la conscience qui naît en raison de l’œil et d’apparences visibles s’appelle conscience oculaire, celle qui apparaît en raison de l’oreille et de sons prend le nom de conscience auriculaire, la conscience produite en raison du nez et d’odeurs se nomme conscience nasale, celle qui émerge de la langue et de saveurs s’appelle conscience linguale, celle qui naît en raison du composé corporel et de touchers porte le nom de conscience corporelle, et la conscience qui apparaît à partir de la faculté cognitive (lors du “tournant”) et de connaissables s’appelle conscience cognitive.

Pareillement, moines, le feu tire son nom du combustible qu’il utilise : le feu qui brûle du petit bois s’appelle feu de petit bois, celui qui consume des copeaux prend le nom de feu de copeaux, le feu qui dévore de la paille se nomme feu de paille, celui opérant avec de la bouse de vache s’appelle feu de bouse, celui qui brûle des glumes porte le nom de feu de glumes, et le feu qui prend dans des déchets mélangés s’appelle feu de déchets.

« De la même façon, moines, la conscience tire son nom de la condition dont dépend sa formation : la conscience qui naît en raison de l’œil et d’apparences visibles s’appelle conscience oculaire… et celle qui apparaît à partir de la faculté cognitive et de connaissables s’appelle conscience cognitive.

« Voyez, moines, que telle chose s’est produite.

—Oui, Seigneur.

—Voyez, moines, que ce qui se produit résulte d’un aliment (āhāra).

—Oui, Seigneur.

—Voyez, moines, que ce qui se produit a pour nature de disparaître quand son aliment cesse.

—Oui, Seigneur.

—Si on doute, moines, que cette chose s’est produite, on tombe dans l’incertitude.

—Oui, Seigneur.

—Si on doute, moines, que ce qui se produit résulte d’un aliment, on reste dans l’incertitude.

—Oui, Seigneur.

—Si on doute, moines, que ce qui se produit a pour nature de disparaître quand son aliment cesse, on a encore de l’incertitude.

—Oui, Seigneur.

—Si l’on voit, moines, tel que c’est, avec une juste sagacité, que ceci s’est produit, l’incertitude est éliminée.

—Oui, Seigneur.

—Si l’on voit, moines, tel que c’est, avec une juste sagacité, que ce qui se produit résulte d’un aliment, l’incertitude est éliminée.

—Oui, Seigneur.

—Si l’on voit, moines, tel que c’est, avec une juste sagacité, que ce qui se produit a pour nature de disparaître quand son aliment cesse, l’incertitude est éliminée.

—Oui, Seigneur.

—Ainsi, moines, vous ne doutez plus que ceci s’est produit.

—Non, Seigneur.

—Vous ne doutez plus, moines, que ce qui se produit résulte d’un aliment.

—Non, Seigneur.

—Vous ne doutez plus, moines, que ce qui se produit a pour nature de disparaître quand son aliment cesse.

—Non, Seigneur.

—Vous voyez bien tel que c’est, moines, avec une juste sagacité, que ceci est advenu.

—Oui, Seigneur.

—Vous voyez bien tel que c’est, moines, avec une juste sagacité, que ce qui est advenu résulte d’un aliment.

—Oui, Seigneur.

—Vous voyez bien tel que c’est, moines, avec une juste sagacité, que ce qui est advenu a pour nature de cesser quand cesse son aliment.

—Oui, Seigneur.

—Et cette vision, moines, bien purifiée (par la connaissance des natures propres) et bien nettoyée (par la connaissance des causes), si vous y adhériez (par désir ou en tant que croyance), si vous vous y attachiez, si vous vous y enchaîniez ou si vous la faisiez vôtre, pourriez-vous reconnaître que le dhamma est semblable à un flotteur en ce qu’il est enseigné seulement pour traverser et non pour être gardé ?

—Non, Seigneur.

—Mais si vous n’adhérez pas, moines, ne vous attachez pas, ne vous enchaînez pas et ne faites pas vôtre cette vision bien purifiée et bien nettoyée, pouvez-vous reconnaître que le dhamma est semblable à un flotteur, fait pour traverser, non pour être gardé ?

—Oui, Seigneur.

—Il y a quatre aliments, moines, qui soutiennent les êtres existants et qui aident ceux qui cherchent naissance. Lesquels ? Il y a les aliments en bouchées, grossiers ou subtils, il y a les contacts en deuxième, les intentions coordinatrices en troisième, et les états de conscience en quatrième.

« Et ces quatre aliments, moines, quelle en est la cause, de quoi découlent-ils, de quoi naissent-ils, de quoi proviennent-ils ? Ces quatre aliments ont la soif (taṇhā) pour cause, ils découlent de la soif, naissent de la soif, proviennent de la soif.

« Et cette soif, moines, quelle en est la cause, de quoi découle-t-elle, de quoi naît-elle, de quoi provient-elle ? La soif a le ressenti (vedanā) pour cause…

« Et ce ressenti, moines, quelle en est la cause… Le ressenti a le contact (phassa) pour cause…

« Et ce contact, moines, quelle en est la cause… Le contact a les six domaines d’origine (āyatana) pour cause…

« Et ces six domaines, moines, quelle en est la cause… Les six domaines ont le psychique-et-physique (nāma-rūpa) pour cause…

« Et ce psychique-et-physique, moines, quelle en est la cause… Le psychique-et-physique a l’état de conscience (viññāṇa) pour cause…

« Et cet état de conscience, moines, quelle en est la cause… L’état de conscience a les activités (saṅkhāra) pour cause…

« Et ces activités, moines, quelle en est la cause… Les activités intentionnelles ont l’aveuglement (avijjā) pour cause, elles découlent de l’aveuglement, naissent de l’aveuglement, proviennent de l’aveuglement.

« Ainsi, moines, sans aveuglement il n’y a pas d’activités intentionnelles, sans activités pas de (nouvel) état de conscience, sans état de conscience pas de psychique-et-physique, sans psychique-et-physique pas les six domaines, sans les six domaines pas de contact, sans contact pas de ressenti, sans ressenti pas de soif, sans soif pas d’attachement (upādāna), sans attachement pas d’existence, sans existence pas de naissance (jāti), et sans naissance il n’y a pas de vieillissement, de mort, de chagrin, de lamentations, de douleur, d’insatisfaction et de désespoir. Voilà comment cesse toute cette masse de malheurs (dukkha).

« On a dit que sans naissance il n’y a pas de vieillissement et de mort. Faut-il, ou non, une naissance pour qu’il y ait vieillissement et mort ? Qu’en pensez-vous, moines ?

—Sans naissance il n’y a pas de vieillissement et de mort, Seigneur. Il en est bien ainsi pour nous : sans naissance il n’y a pas de vieillissement ni de mort.

—On a dit “sans existence pas de naissance”. Faut-il, ou non, l’existence pour qu’il y ait naissance… (le texte se répète, chaînon après chaînon, jusqu’à) …Seigneur, il en est bien ainsi pour nous : sans aveuglement, pas d’activités intentionnelles.

—Bien, moines. Vous parlez ainsi, et je dis comme vous que cela étant, ceci existe ; par l’apparition de cela, ceci apparaît, c’est-à-dire que sans aveuglement il n’y a pas d’activités intentionnelles, sans activités…

« Et par l’arrêt sans reste de l’aveuglement grâce au détachement, les activités intentionnelles cessent. Par l’arrêt des activités l’état de conscience cesse, par l’arrêt de l’état de conscience le psychique-et-physique cesse, par l’arrêt du psychique-et-physique les six domaines cessent, par l’arrêt des six domaines le contact cesse, par l’arrêt du contact le ressenti cesse, par l’arrêt du ressenti la soif cesse, par l’arrêt de la soif l’attachement cesse, par l’arrêt de l’attachement l’existence cesse, par l’arrêt de l’existence la naissance cesse, par l’arrêt de la naissance cessent le vieillissement, la mort, le chagrin, les lamentations, la douleur, l’insatisfaction et le désespoir. Voilà comment s’arrête toute cette masse de malheurs.

On a dit “par l’arrêt de la naissance le vieillissement et la mort cessent”. L’arrêt de la naissance fait-il cesser, oui ou non, le vieillissement et la mort ? Qu’en pensez-vous, moines ?

—Par l’arrêt de la naissance le vieillissement et la mort cessent, Seigneur. Il en est bien ainsi pour nous : par l’arrêt de la naissance le vieillissement et la mort cessent.

—On a dit que par l’arrêt de l’existence la naissance cesse… (le texte se répète, chaînon après chaînon, jusqu’à) … Il en est bien ainsi pour nous : par l’arrêt de l’aveuglement les activités cessent.

—Bien, moines. Vous parlez ainsi, et je dis comme vous que cela n’étant plus, ceci n’existe plus ; par l’arrêt de cela, ceci cesse. C’est-à-dire que par l’arrêt de l’aveuglement les activités intentionnelles cessent, etc.

« D’autre part, moines, en sachant tout ceci, en voyant de cette façon, pouvez-vous encore vous pencher sur le passé : “Ai-je existé dans le passé ? N’ai-je pas existé dans le passé ? Qu’étais-je dans le passé ? comment étais-je dans le passé ? Par quelle succession d’étapes suis-je passé ?”

—Non, Seigneur.

—De plus, moines, en connaissant tout ceci, en voyant de cette manière, pouvez-vous encore vous tourner vers l’avenir : “Existerai-je dans l’avenir ? N’existerai-je pas dans l’avenir ? Que serai-je dans l’avenir ? Comment serai-je dans l’avenir ? Par quelles étapes passerai-je dans l’avenir ?”

—Non, Seigneur.

—En outre, moines, en sachant ceci, en voyant ainsi, pouvez-vous encore vous demander à présent : “Existè-je ? N’existè-je pas ? Que suis-je ? Comment suis-je ? D’où vient cet être ? Où va-t-il ?”

—Non, Seigneur.

—D’autre part, moines, en sachant et en voyant ainsi, pouvez-vous dire : “Le Maître est important pour nous et c’est par vénération pour le Maître que nous parlons ?”

—Non, Seigneur.

—Et encore, moines, en connaissant ceci, en voyant de cette façon, pouvez-vous dire : “L’Ascète nous a déclaré ceci, ce que nous disons vient seulement de l’Ascète et non de nous” ?

—Non, Seigneur.

—En outre, moines, en sachant et en voyant ainsi, pouvez-vous recommander un autre maître ?

—Non, Seigneur.

—Par ailleurs, moines, en connaissant ceci, en voyant ceci, pourriez-vous revenir aux rites et aux fêtes bruyantes que célèbre la multitude des ascètes et des brahmanes et dont vous reconnaissez maintenant la nature ?

—Non, Seigneur.

—Ce que vous dites, moines, ne le connaissez-vous pas par vous-mêmes, ne le voyez-vous pas par vous-mêmes, ne l’expérimentez-vous pas par vous-mêmes ?

—Si, Seigneur.

—Je vous ai guidés, moines, grâce à ce dhamma que l’on doit voir par soi-même, qui est immédiat, qui possède la qualité, qui doit être amené et que les savants doivent connaître par eux-mêmes. Oui, on doit voir ce dhamma par soi-même, il est immédiat, possède la qualité, doit être amené et les savants doivent le connaître par eux-mêmes : tout ce qui est dit s’y réfère.

(Ayant parlé du tourbillon de la vie et de son arrêt, le Seigneur pourrait considérer que l’exposé est à présent complet, mais du point de vue des causes, ce tourbillon a l’aveuglement pour racine, et son arrêt dépend de l’apparition d’un Bouddha. Voilà de quoi il va être question maintenant)

« Il faut que trois (choses) soient réunies, moines, pour qu’il y ait descente dans le sein. S’il y a union de la mère et du père, mais que la mère n’est pas en période (de fécondité) ou qu’aucun gandhabba n’est présent, la descente dans le sein ne s’effectue pas. S’il y a union des parents et que la mère est dans sa période mais qu’aucun gandhabba n’est présent, il n’y a pas non plus descente dans le sein. Mais s’il y a union des parents, période de la mère et présence d’un gandhabba, la descente dans le sein se produit, les trois conditions étant réunies.

Pendant neuf à dix mois lunaires, la mère porte dans son sein l’embryon, lourd fardeau accompagné de beaucoup d’incertitudes. Au bout de ces neuf à dix mois, la mère accouche, lourde charge avec beaucoup d’aléas. Elle nourrit avec son sang celui qui est né, car le lait maternel est appelé “sang” dans la discipline des Purs.

Puis quand il grandit et que ses facultés mûrissent, le garçon s’amuse avec des jouets : charrue miniature, baguettes longue et courte, culbutes, moulinet à vent, tige creuse, char miniature ou petit arc.

« Quand ce garçon a grandi et que ses facultés ont mûri, il bénéficie des plaisirs des cinq sens et en profite : il jouit des apparences perceptibles par l’œil… des sons perceptibles par l’oreille… des odeurs perceptibles par le nez… des saveurs perceptibles par la langue… et des touchers perceptibles par le corps, attirants, désirables, plaisants, attachants, sensuels, excitants.

Quand il voit des apparences avec l’œil… Quand il entend des sons avec l’oreille… Quand il sent des odeurs avec le nez… Quand il goûte des saveurs avec la langue… Quand il ressent un toucher avec le corps, il se délecte des apparences plaisantes, repousse les apparences déplaisantes, ne stabilise pas la vigilance relative au corps car son esprit reste étriqué, et il ne reconnaît pas avec sagacité pour ce qu’elles sont la délivrance spirituelle (cetovimutti) et la délivrance par la sagacité (paññāvimutti) grâce auxquelles les choses mauvaises et pernicieuses sont stoppées sans qu’il en reste rien. Quand il tombe ainsi dans l’attirance et le rejet, quel que soit le ressenti qu’il éprouve, agréable, désagréable ou neutre, il s’y complaît, s’en félicite et s’y enlise. Quand il se complaît dans ce ressenti, qu’il s’en félicite et s’y enlise, il s’en réjouit. Cette réjouissance est une forme d’attachement. En raison de cet attachement, il y a l’existence, en raison de l’existence la naissance, en raison de la naissance le vieillissement, la mort, le chagrin, les lamentations, l’insatisfaction, la douleur et le désespoir. Voilà comment se produit toute cette masse de malheurs.

« Mais voici, moines, qu’un Tathâgata apparaît en ce monde, il est accompli, parfait Bouddha, doué de science et de bonne conduite, bien-allé, connaisseur du monde, suprême, cocher des mâles à dresser, maître des dieux et des hommes, Bouddha et Seigneur. Il voit de ses propres yeux, par connaissance directe, ce monde avec ses dieux, ses Mâras, ses Brahmas, ses ascètes et ses brahmanes, et cette humanité avec ses rois divins et ses hommes, et il le proclame. Il enseigne le dhamma, bon au début, bon au milieu et bon à la fin, avec le fond et la forme, et il montre la vie sainte dans son intégralité et sa parfaite pureté.

Un maître de maison, un fils de maison ou un natif de tel ou tel clan entend ce dhamma, et ce dhamma lui donne confiance dans le Tathâgata. Et quand il a cette confiance, il réfléchit : “Mon foyer est encombré et poussiéreux alors que l’errance se vit au grand air. Il n’est pas facile pour ceux qui restent chez eux de mener la vie sainte dans son intégralité, entièrement pure et polie comme une conque. Je ferais mieux de me faire raser les cheveux et la barbe, de revêtir les robes safran et de passer du foyer au sans-foyer.”

Par la suite, il abandonne la masse de ses biens, grande ou petite, il abandonne le cercle de ses connaissances, grand ou petit, il se fait raser les cheveux et la barbe, il revêt les robes safran et passe du foyer au sans-foyer.

Après ce passage, il adopte l’entraînement et le mode de vie des moines. Il rejette la destruction du souffle vital et s’abstient de détruire le souffle vital. Il pose le bâton, il pose l’épée, il se contient, il est compatissant et soucieux du bien-être de tout ce qui existe et respire.

Il rejette le vol et s’abstient de prendre ce qui n’est pas donné. Il ne prend que ce qui est donné, il n’aspire qu’à ce qui est donné, il reste pur de tout vol.

Il rejette les conduites impures, il s’en écarte, mène une vie chaste et s’abstient des relations sexuelles naturelles aux villageois.

« Il rejette les tromperies et s’abstient de tromper. Il dit la vérité, il persiste dans la vérité et y persévère, il est digne de confiance et ne se joue pas du monde.

Il rejette les paroles démoniaques et s’abstient de parler comme un démon : il ne raconte pas ici ce qu’il a entendu là-bas pour nuire à ceux-là, il ne rapporte pas là-bas ce qu’il a entendu ici pour nuire à ceux-ci, il réconcilie ceux qui étaient brouillés, il réunit les réconciliés, se plaît à la concorde, se délecte de la concorde, se réjouit de la concorde et prononce les paroles qui amènent la concorde.

Il rejette les paroles blessantes ou grossières et s’abstient de parler grossièrement. Les paroles qu’il prononce sont douces, agréables à l’oreille, elles vont au cœur, elles sont courtoises, délicieuses et plaisantes pour le plus grand nombre.

Il rejette les vains bavardages et s’abstient de bavarder. Il parle en temps opportun, il dit ce qui est, il parle de la réalité, il parle du dhamma, il parle du vinaya, et ses paroles sont dignes d’êtres retenues, opportunes, argumentées, cadrées et utiles.

« Il s’abstient de détruire les plantes et les arbres. Il se contente d’un seul repas par jour et s’abstient de manger la nuit ou en dehors du temps prescrit. Il s’abstient de chanter, de danser et de jouer de la musique, il renonce aux spectacles excitants. Il s’abstient de porter des guirlandes, des parfums, du maquillage, des bijoux ou des cosmétiques. Il refuse les lits grands ou élevés. Il refuse l’or et l’argent. Il refuse les grains crus. Il refuse la viande crue. Il refuse les femmes et les jeunes filles. Il refuse les esclaves, hommes ou femmes. Il refuse les chèvres et les boucs. Il refuse les coqs et les cochons. Il refuse les éléphants, les vaches, les chevaux et les juments. Il refuse les champs et les terres. Il refuse de porter des messages. Il refuse d’acheter ou de vendre. Il s’abstient de falsifier les poids, les monnaies ou les mesures. Il s’abstient de frauder, de tromper ou d’escroquer. Il s’abstient de mutiler, d’exécuter, d’enchaîner, d’attaquer les passants, de piller ou de se livrer à des violences. Il se contente de la robe qui lui couvre le corps et du bol d’aumône qui lui remplit l’estomac, et où qu’il aille, il les emporte avec lui. Partout où va l’oiseau, il vole avec ses ailes. De même, le moine se contente de la robe qui lui couvre le corps et du bol d’aumône qui lui emplit l’estomac, et où qu’il aille, il les emporte avec lui.

Quand il se conforme à l’ensemble de ces comportements purs, il ressent un bonheur intérieur sans tache.

« Quand il voit une apparence avec l’œil… quand il entend un son avec l’oreille… quand il sent une odeur avec le nez… quand il goûte une saveur avec la langue… quand il sent un toucher avec le corps… ou quand il connaît un connaissable avec la faculté cognitive, il n’en saisit pas le signe principal ni les détails révélateurs qui permettraient à la convoitise, à l’insatisfaction et à d’autres agents mauvais et pernicieux de l’envahir aussi longtemps que la faculté correspondante reste incontrôlée. Il s’engage dans ce contrôle, protège sa faculté et se consacre au contrôle de sa faculté.

Quand il va vers l’avant ou vers l’arrière, il agit en toute sagacité. Quand il regarde devant lui ou de côté, il agit en toute sagacité. Quand il plie ou étend les membres, il agit en toute sagacité. Quand il revêt la cape ou la robe, quand il prend son bol, il agit en toute sagacité. Quand il mange, boit, mâche ou savoure, il agit en toute sagacité. Quand il urine ou défèque, il agit en toute sagacité. Quand il marche, quand il se tient debout, assis ou couché, quand il est éveillé, quand il parle et quand il se tait, il agit en toute sagacité.

« Quand il se conforme à l’ensemble de ces comportements purs, qu’il possède en outre ce pur contrôle des facultés et cette pleine conscience vigilante, il se rend dans un lieu de séjour isolé : forêt, pied d’un arbre, montagne, grotte, ravin, cimetière, plateau boisé, tente ou paillote. Là, après le repas, quand il est revenu de sa tournée d’aumône, il s’assied jambes croisées, se redresse et fixe sa vigilance devant lui.

En éliminant toute convoitise pour le monde, il demeure sans convoitise et lave son esprit de toute convoitise. En éliminant le défaut de l’aversion, il demeure sans aversion, il reste soucieux du bien-être de tout ce qui existe et respire, et il lave son esprit de toute forme d’aversion. En éliminant l’engourdissement et la torpeur, il demeure sans engourdissement ni torpeur, il perçoit lucidement, il reste vigilant, pleinement conscient et lave son esprit de tout engourdissement ou torpeur. En éliminant l’agitation et l’inquiétude, il demeure sans agitation ; son attention reste paisible et il lave son esprit de toute agitation ou inquiétude. En éliminant l’hésitation, il demeure sans hésitation, il ne se pose pas de questions et lave son esprit de toute hésitation relative aux manifestations bénéfiques.

Quand il a éliminé ces cinq obstacles —ces impuretés de l’attention qui affaiblissent la sagacité—, c’est seulement en s’isolant du sensoriel, en s’isolant des agents pernicieux, qu’il accède au premier jhâna… au deuxième jhâna… au troisième jhâna… au quatrième jhâna… et qu’il y demeure.

« Quand il voit des apparences avec l’œil… Quand il entend des sons avec l’oreille… Quand il sent des odeurs avec le nez… Quand il goûte des saveurs avec la langue… Quand il ressent un toucher avec le corps, il ne se délecte pas des apparences plaisantes et ne repousse pas les apparences déplaisantes mais stabilise la vigilance relative au corps en gardant un esprit incommensurable, il reconnaît avec sagacité pour ce qu’elles sont la délivrance spirituelle et la délivrance sagace grâce auxquelles les choses mauvaises et pernicieuses sont stoppées sans qu’il en reste rien. Comme il a éliminé l’attirance et le rejet, quel que soit le ressenti qu’il éprouve, il ne s’y complaît pas, ne s’en félicite pas et ne s’y enlise pas. La réjouissance (nandī) est arrêtée. De l’arrêt de la réjouissance l’arrêt de l’attachement, de l’arrêt de l’attachement l’arrêt de l’existence, de l’arrêt de l’existence l’arrêt de la naissance, de l’arrêt de la naissance l’arrêt du vieillissement, de la mort, du chagrin, des lamentations, de l’insatisfaction, de la douleur et du désespoir. Voilà comment cesse toute cette masse de malheurs.

« Portez en vous, moines, cette délivrance par la suppression de toute soif que j’ai exposée en résumé. Et qu’au contraire le moine Sâti, fils d’un pêcheur, s’est pris dans le grand filet des désirs (taṇhā) et a succombé au désir. »

Ainsi parla le Seigneur.

Les moines furent satisfaits et se réjouirent des paroles du Seigneur.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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Publié comme un don du Dhamma,
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