MN 24
Rathavinīta Sutta
— Le récit du relais de chars —

Un vénérable bhikkhou explique à Saripoutta que l'objectif final de la vie brahmique, l'Extinction complète, est atteint au moyen de sept purifications successives.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Râjagaha, au Repas des Ecureuils dans le Bois de Bambous.

Or des moines qui logeaient au Lieu de la Naissance et y avaient passé la mousson vinrent trouver le Seigneur. Ils le saluèrent en arrivant et s’assirent convenablement. Quand ils furent bien assis, le Seigneur leur demanda :

—Y a-t-il au Lieu de la Naissance, moines, quelqu’un que les moines, ses compagnons dans la vie sainte, honorent ainsi : “Il n’a aucun désir et recommande aux moines de n’avoir aucun désir ; il se contente de ce qu’il a et recommande aux moines de se contenter de ce qu’ils ont ; il est solitaire et recommande aux moines la solitude ; il évite les contacts et recommande aux moines d’éviter les contacts ; il est énergique et recommande aux moines cette énergie ; il est discipliné et recommande aux moines cette discipline ; il est intensément concentré et recommande aux moines cette concentration intense ; il est profondément sagace et recommande aux moines cette sagacité profonde ; il est délivré et recommande aux moines cette Délivrance ; il a la connaissance et vision de la Délivrance et recommande aux moines cette connaissance et vision ; il instruit ses compagnons dans la vie sainte, les éclaire, les illumine, leur fait faire l’expérience, les exalte et les ravit” ?

—Il y a Puṇṇa, Seigneur. Au Lieu de la Naissance, le vénérable Puṇṇa, fils de Mantâṇi, est honoré par ses compagnons dans la vie sainte de cette façon : “Il n’a aucun désir … il instruit ses compagnons dans la vie sainte… et les ravit”.

A ce moment le vénérable Sâriputta, qui était assis non loin du Seigneur, eut cette idée : “Il est bon pour le vénérable Puṇṇa, il est excellent pour le vénérable Puṇṇa que ses sages compagnons dans la vie sainte proclament ses louanges, point par point, en présence du Seigneur, et que le Seigneur en fasse l’éloge. Puissè-je rencontrer un jour ou l’autre le vénérable Puṇṇa, puissè-je avoir une conversation avec lui.”

Par la suite, le Seigneur qui avait séjourné près de Râjagaha aussi longtemps que cela lui plaisait, se mit en route pour Sâvatthi. Il atteignit Sâvatthi en progressant par étapes et s’y installa dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta.

Le vénérable Puṇṇa, fils de Mantâṇi, apprit que le Seigneur était arrivé à Sâvatthi et qu’il y séjournait dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta. Il mit son logement en ordre, prit son bol et sa robe, et se mit à son tour en route pour Sâvatthi. En progressant par étapes il arriva au parc Anâthapiṇḍika et se rendit auprès du Seigneur. Il salua le Seigneur dès son arrivée et s’assit convenablement. Quand le vénérable Puṇṇa fut bien assis, le Seigneur l’illumina par un exposé de la réalité, la lui fit expérimenter, il l’exalta et le ravit.

Quand le vénérable Puṇṇa eut été illuminé par le discours du Seigneur sur la réalité, qu’il l’eut bien expérimentée, qu’il eut été exalté et ravi, il se réjouit des paroles du Seigneur et en fit l’éloge. Puis il se leva, salua le Seigneur, tourna autour de lui en le gardant à sa droite et se dirigea vers le Bois des Aveugles pour y passer la journée.

Un moine alla trouver le vénérable Sâriputta et lui dit :

—Le moine Puṇṇa, fils de Mantâṇi, dont toi, ami Sâriputta, tu as souvent fait l’éloge, a été illuminé par un exposé du Seigneur, il a expérimenté cette réalité, il a été exalté et ravi. Il s’est réjoui des paroles du Seigneur et en a fait l’éloge, puis il s’est levé, a salué le Seigneur et a tourné autour de lui. Il se dirige maintenant vers le bois des Aveugles pour y passer la journée.

Alors le vénérable Sâriputta se dépêcha de saisir une natte et suivit de loin le vénérable Puṇṇa sans le perdre de vue. Le vénérable Puṇṇa s’enfonça dans le Bois des Aveugles et s’assit au pied d’un arbre pour y passer la journée. Le vénérable Sâriputta s’enfonça lui aussi dans le Bois des Aveugles et s’assit au pied d’un arbre pour y passer la journée.

Vers le soir, le vénérable Sâriputta sortit de sa solitude et s’approcha du vénérable Puṇṇa. Il échangea d’abord des paroles courtoises avec le vénérable Puṇṇa, fils de Mantâṇi, et conclut leur dialogue aimable et mémorable en s’asseyant convenablement. Une fois bien assis, le vénérable Sâriputta demanda au vénérable Puṇṇa :

—Est-ce bien avec le Seigneur, mon ami, que l’on mène la vie sainte ?

—Oui, mon ami.

—Est-ce pour épurer la discipline, mon ami, que l’on mène la vie sainte avec le Seigneur ?

—Non, mon ami.

—Est-ce pour épurer l’état d’être, mon ami, que l’on mène la vie sainte avec le Seigneur ?

—Non, mon ami.

—Est-ce pour épurer la vue, mon ami, que l’on mène la vie sainte avec le Seigneur ?

—Non, mon ami.

—Est-ce pour épurer l’élimination des doutes, mon ami, que l’on mène la vie sainte avec le Seigneur ?

—Non, mon ami.

—Est-ce pour épurer la connaissance et vision du chemin et du non-chemin, mon ami, que l’on mène la vie sainte avec le Seigneur ?

—Non, mon ami.

—Est-ce pour épurer la connaissance et vision du parcours, mon ami, que l’on mène la vie sainte avec le Seigneur ?

—Non, mon ami.

—Est-ce pour épurer la connaissance et vision, mon ami, que l’on mène la vie sainte avec le Seigneur ?

—Non, mon ami.

—Ainsi, mon ami, quand on te demande si l’on mène la vie sainte avec le Seigneur pour purifier la discipline, tu réponds : “Non, mon ami.” Quand on te demande si l’on mène la vie sainte avec le Seigneur pour épurer l’état d’être… la vue… l’élimination des doutes… la connaissance et vision du chemin et du non-chemin… la connaissance et vision du parcours… ou la connaissance et vision, tu réponds toujours : “Non, mon ami.” Mais alors, mon ami, dans quel but mène-t-on la vie sainte avec le Seigneur ?

—On mène la vie sainte avec le Seigneur, mon ami, afin d’atteindre le complet Dénouement inconditionné.

—Mais, mon ami, la pureté de la discipline ne constitue-t-elle pas le complet Dénouement inconditionné ?

—Non, mon ami.

—Est-ce donc, mon ami, la pureté de l’état d’être qui constitue le complet Dénouement inconditionné ?

—Non, mon ami.

—Est-ce alors, mon ami, la pureté de la vue qui constitue le complet Dénouement inconditionné ?

—Non, mon ami.

—Est-ce donc, mon ami, la pureté de l’élimination des doutes qui constitue le complet Dénouement inconditionné ?

—Non, mon ami.

—Est-ce alors, mon ami, la pureté de la connaissance et vision du chemin et du non-chemin qui constitue le complet Dénouement inconditionné ?

—Non, mon ami.

—Est-ce donc, mon ami, la pureté de la connaissance et vision du parcours qui constitue le complet Dénouement inconditionné ?

—Non, mon ami.

—Est-ce alors, mon ami, la pureté de la connaissance et vision qui constitue le complet Dénouement inconditionné ?

—Non, mon ami.

—Le complet Dénouement inconditionné, mon ami, se trouve-t-il donc en dehors de ces réalités ?

—Non, mon ami.

—Ainsi, mon ami, quand on te demande si la pureté de la discipline… si la pureté de l’état d’être… si la pureté de la vue… si la pureté dans l’élimination des doutes… si la pureté de la connaissance et vision du chemin et du non-chemin… si la pureté de la connaissance et vision du parcours… si la pureté de la connaissance et vision constitue le complet Dénouement inconditionné, tu réponds toujours : “Non, mon ami.” Et quand on te demande si le complet Dénouement inconditionné est étranger à ces réalités, tu réponds encore : “Non, mon ami.” Comment faut-il voir le sens de tes paroles ?

—Si, mon ami, le Seigneur désignait la pureté de la discipline comme complet Dénouement inconditionné, il désignerait quelque chose de conditionné comme complet Dénouement inconditionné. S’il désignait la pureté de l’état d’être… la pureté de la vue… la pureté dans l’élimination des doutes… la pureté de la connaissance et vision du chemin et du non-chemin… la pureté de la connaissance et vision du parcours… la pureté de la connaissance et vision comme complet Dénouement inconditionné, il désignerait quelque chose de conditionné comme complet Dénouement inconditionné. Et si le complet Dénouement inconditionné était étranger à ces réalités, n’importe qui pourrait atteindre le complet Dénouement car l’homme ordinaire ne connaît pas ces réalités.

Je vais prendre une image, mon ami, car les images permettent à certains sages de comprendre le sens d’un exposé.

Le roi Pasénadi du Kosala réside à Sâvatthi, mon ami. Il peut voir une affaire urgente à régler à Sâketa. Sept chars déjà attelés ont été disposés entre Sâvatthi et Sâketa. Le roi sort de Sâvatthi par la porte de la ville et monte dans le premier char déjà attelé. Ce premier char l’amène jusqu’au deuxième char déjà attelé. Le roi descend du premier char pour monter dans le deuxième, qui l’amène au troisième… le troisième au quatrième… le quatrième au cinquième… le cinquième au sixième… et le sixième au septième. Il descend du sixième char pour monter dans le septième, et il arrive à la porte de Sâketa avec le septième char. Quand il est devant la porte de la ville, ses amis, conseillers, connaissances et parents lui demandent : “Est-ce avec ce char, grand roi, que tu es allé de Sâvatthi jusqu’à la porte de Sâketa ?” Comment le roi Pasénadi du Kosala doit-il répondre pour que sa réponse soit juste ?

Pour que sa réponse soit juste, le roi doit répondre : “Moi qui réside à Sâvatthi, j’eus une affaire urgente à régler à Sâketa et sept chars déjà attelés étaient disposés entre Sâvatthi et Sâketa. Je sortis de Sâvatthi par la porte de la ville et je montai dans le premier char déjà attelé. Ce premier char m’amena au deuxième char. Je descendis alors du premier char pour monter dans le deuxième, qui m’amena au troisième… et j’arrivai à la porte de Sâketa avec le septième char.” Voilà comment le roi Pasénadi du Kosala doit répondre pour que sa réponse soit juste.

De même, mon ami, la pureté de la discipline a pour seul but la pureté de l’état d’être, la pureté de l’état d’être a pour seul but la pureté de la vue, la pureté de la vue a pour seul but la pureté dans l’élimination des doutes, la pureté dans l’élimination des doutes a pour seul but la pureté de la connaissance et vision du chemin et du non-chemin, la pureté de la connaissance et vision du chemin et du non-chemin a pour seul but la pureté de la connaissance et vision du parcours, la pureté de la connaissance et vision du parcours a pour seul but la connaissance et vision, la pureté de la connaissance et vision a pour seul but le complet Dénouement inconditionné. On mène donc la vie sainte avec le Seigneur, mon ami, afin d’atteindre le complet Dénouement inconditionné. »

Ainsi parla-t-il.

Et le vénérable Sâriputta demanda au vénérable Puṇṇa :

—Comment s’appelle le vénérable ? Sous quel nom ses compagnons dans la vie sainte le connaissent-ils ?

—Je m’appelle Puṇṇa, mon ami, et mes compagnons dans la vie sainte me connaissent comme Fils de Mantâṇi.

—C’est merveilleux, mon ami, c’est extraordinaire, mon ami, à quel point le vénérable Puṇṇa, fils de Mantâṇi, a répondu point par point à des questions de plus en plus profondes comme un disciple bien instruit qui comprend parfaitement l’enseignement du Maître ! C’est une chance pour ses compagnons dans la vie sainte, c’est une bonne fortune pour ses compagnons dans la vie sainte de pouvoir contempler et honorer le vénérable Puṇṇa, fils de Mantâṇi. Si ses compagnons dans la vie sainte contemplent le vénérable Puṇṇa, fils de Mantâṇi, et s’ils l’honorent en le portant sur un coussin au dessus de leur tête, c’est une chance pour eux, c’est une bonne fortune pour eux. Pour nous aussi c’est une chance, pour nous aussi c’est une bonne fortune de pouvoir contempler et honorer le vénérable Puṇṇa, fils de Mantâṇi.

Ainsi parla-t-il. Et le vénérable Puṇṇa, fils de Mantâṇi, demanda au vénérable Sâriputta :

—Comment s’appelle le vénérable ? Sous quel nom ses compagnons dans la vie sainte le connaissent-ils ?

—Je m’appelle Upatissa, mon ami, et mes compagnons dans la vie sainte me connaissent comme Fils de Sâri.

—Nous avons donc prodigué des conseils au disciple qui est semblable au Maître sans savoir qu’il s’agissait du vénérable Sâriputta ! Si nous avions su qu’il s’agissait du vénérable Sâriputta, nous n’aurions pas tant parlé ! C’est merveilleux, mon ami, c’est extraordinaire, mon ami, à quel point le vénérable Sâriputta a posé point par point des questions de plus en plus profondes comme un disciple bien instruit qui comprend parfaitement l’enseignement du Maître ! C’est une chance pour ses compagnons dans la vie sainte, c’est une bonne fortune pour ses compagnons dans la vie sainte de pouvoir contempler et honorer le vénérable Sâriputta. Si ses compagnons dans la vie sainte contemplent le vénérable Sâriputta et s’ils l’honorent en le portant sur un coussin au dessus de leur tête, c’est une chance pour eux, c’est une bonne fortune pour eux. Pour nous aussi c’est une chance, pour nous aussi c’est une bonne fortune de contempler et d’honorer le vénérable Sâriputta.

Voilà comment ces deux grands nâgas se réjouirent mutuellement de leurs bonnes paroles.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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