MN 1
Mūlapariyāya Sutta
— Le récit de la raison fondamentale —

Ce discours analyse les processus cognitifs de quatre types d'individus, un individu ordinaire, une bhikkhou en entraînement, un arahant et le Bouddha lui-même. C'est l'un des discours les plus profonds et les plus difficiles à comprendre.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait dans le bois Subhaga, près d’Ukkaṭṭhâya, à proximité du plus majestueux des arbres sals.

Et là le Seigneur s’adressa aux moines :

—Moines !

—Oui, Seigneur, répondirent les moines.

Le Seigneur leur annonça :

—Je vais vous enseigner, moines, la raison fondamentale de toutes choses. Écoutez et soyez bien attentifs, je vais parler.

—Bien Seigneur, lui répondirent les moines.

Et le Seigneur leur dit ceci :

Voici, moines, un être ordinaire, ignorant, qui ne peut voir les Purs, qui ne peut connaître la réalité pure et qui n’est pas éduqué à la réalité pure, qui ne peut voir les Grands Hommes, qui ne peut connaître la réalité des Grands Hommes et qui n’est pas éduqué à la réalité des Grands Hommes.

« La terre, il la perçoit bien comme de la terre, mais ayant perçu la terre comme de la terre, il pense “terre”, il pense “dans la terre”, il pense “issu de la terre”, il pense “ma terre” et il est enchanté de la terre. Pour quelle raison ? Parce qu’il ne la connaît pas pleinement, je l’affirme.

« L’eau, il la perçoit bien comme de l’eau, mais… (les points de suspension indiquent qu’il faut répéter la formule en remplaçant terre par eau)

« Le feu, il le perçoit bien comme du feu, mais…

« Le vent, il le perçoit bien comme du vent, mais…

« Les êtres, il les perçoit bien comme des êtres, mais ayant perçu les êtres comme des êtres, il pense “êtres”, il pense “chez les êtres”, il pense “issu des êtres”, il pense “mes êtres” et il est enchanté des êtres. Pour quelle raison ? Parce qu’il ne les connaît pas pleinement, je l’affirme.

« Les dieux, il les perçoit bien comme des dieux, mais…

« Le Maître des êtres, il le perçoit bien comme Maître des êtres, mais…

« L’Épanoui, il le perçoit bien comme Épanoui, mais…

« Les Radieux, il les perçoit bien comme des Radieux, mais…

« Les Splendides, il les perçoit bien comme des Splendides, mais…

« Les Gratifiés, il les perçoit bien comme des Gratifiés, mais…

« Le Dominateur, il le perçoit bien comme Dominateur, mais…

(au-delà du Dominateur se trouvent les quatre domaines non physiques)

« Le domaine de l’espace infini, il le perçoit bien comme domaine de l’espace infini, mais l’ayant perçu comme domaine de l’espace infini, il pense “domaine de l’espace infini”, il pense “dans le domaine de l’espace infini”, il pense “issu du domaine de l’espace infini”, il pense “mon domaine de l’espace infini” et il est enchanté du domaine de l’espace infini. Pour quelle raison ? Parce qu’il ne le connaît pas pleinement, je l’affirme.

« Le domaine de la conscience infinie, il le perçoit bien comme domaine de la conscience infinie, mais…

« Le domaine du néant, il le perçoit bien comme domaine du néant, mais…

« Le domaine sans perception ni non-perception, il le perçoit bien comme domaine sans perception ni non-perception, mais…

« Ce qu’il voit, il le perçoit bien comme vu, mais l’ayant perçu comme vu, il pense “le vu”, il pense “dans le vu”, il pense “issu du vu”, il pense “vu par moi” et il est enchanté de ce qu’il voit. Pour quelle raison ? Parce qu’il ne le connaît pas pleinement, je l’affirme.

« Ce qu’il entend, il le perçoit bien comme entendu, mais…

« Ce qu’il sent, il le perçoit bien comme senti, mais…

« Ce qu’il connaît, il le perçoit bien comme connu, mais…

« L’unité, il la perçoit bien comme unité, mais l’ayant perçue comme unité, il pense “unité”, il pense “dans l’unité”, il pense “issu de l’unité”, il pense “mon unité” et il est enchanté de l’unité. Pour quelle raison ? Parce qu’il ne la connaît pas pleinement, je l’affirme.

« La multiplicité, il la perçoit bien comme multiplicité, mais…

« La totalité, il la perçoit bien comme totalité, mais…

« Mais un moine qui s’exerce sans avoir encore atteint l’Accomplissement mais en aspirant à cette ultime bonheur, connaît directement la terre comme terre, et ayant connu directement la terre comme terre, il ne pense pas “terre”, il ne pense pas “dans la terre”, il ne pense pas “issu de la terre”, il ne pense pas “ma terre” et il n’est pas enchanté de la terre. Pour quelle raison ? Parce qu’il la connaît pleinement, je l’affirme.

Il connaît directement l’eau… le feu… le vent… les êtres… les dieux… le Maître des êtres… l’Épanoui… les Radieux… les Splendides… les Gratifiés… le Dominateur… le domaine de l’espace infini… le domaine de la conscience infinie… le domaine du néant… le domaine sans perception ni non-perception… le vu… l’entendu… le senti… le connu… l’unité… la multiplicité… la totalité… le dénouement comme dénouement, et ayant connu directement le dénouement comme dénouement, il ne pense pas “dénouement”, il ne pense pas “dans le dénouement”, il ne pense pas “ issu du dénouement”, il ne pense pas “mon dénouement” et il n’est pas enchanté du dénouement. Pour quelle raison ? Parce qu’il le connaît pleinement, je l’affirme.

« Et le moine accompli, qui a mis fin aux contaminations, franchi toutes les étapes, accompli sa tâche, déposé son fardeau, atteint son but, brisé les chaînes de l’existence, et qui s’est libéré grâce à la parfaite connaissance, connaît directement la terre comme terre… le dénouement comme dénouement, et… il n’est pas enchanté du dénouement. Pour quelle raison ? Parce qu’il le connaît pleinement, je l’affirme.

« Et le moine accompli, qui a mis fin aux contaminations, franchi toutes les étapes, accompli sa tâche, déposé son fardeau, atteint son but, brisé les chaînes de l’existence, et qui s’est libéré grâce à la parfaite connaissance, connaît directement la terre comme terre… le dénouement comme dénouement, et… il n’est pas enchanté du dénouement. Pour quelle raison ? Parce que la destruction de l’attachement l’a libéré de toute forme d’attachement.

« Et le moine accompli, qui a mis fin aux contaminations, franchi toutes les étapes, accompli sa tâche, posé son fardeau, atteint son but, brisé les chaînes de l’existence, et qui s’est libéré grâce à la parfaite connaissance, connaît directement la terre comme terre… le dénouement comme dénouement, et… il n’est pas enchanté du dénouement. Pour quelle raison ? Parce que la destruction de l’aversion l’a libéré de toute forme d’aversion.

« Et le moine accompli, qui a mis fin aux contaminations, franchi toutes les étapes, accompli sa tâche, posé son fardeau, atteint son but, brisé les chaînes de l’existence, et qui s’est libéré grâce à la parfaite connaissance, connaît directement la terre comme terre… le dénouement comme dénouement, et… il n’est pas enchanté du dénouement. Pour quelle raison ? Parce que la destruction des illusions l’a libéré de toute forme d’illusion.

« Et, moines, le Tathâgata accompli et parfait Bouddha connaît directement, lui aussi, la terre comme terre… et le dénouement comme dénouement, et… il n’est pas enchanté du dénouement. Pour quelle raison ? Parce qu’il le connaît pleinement, je l’affirme.

« Et le Tathâgata accompli et parfait Bouddha connaît directement, lui aussi, la terre comme terre… et le dénouement comme dénouement, et… il n’est pas enchanté du dénouement. Pour quelle raison ? Parce qu’il sait que le désir est la cause fondamentale du malheur, que la naissance résulte de l’existence et que l’être vieillit et meurt. Par conséquent, moines, le Tathâgata a totalement détruit le désir, il s’en est détaché, l’a stoppé, y a renoncé, s’en est défait et il a pleinement réalisé la parfaite Réalisation ultime, je l’affirme. »

Ainsi parla le Seigneur.

Les moines furent satisfaits des paroles du Seigneur et ils s’en réjouirent.

Le commentaire dit, au contraire, que les moines ne furent pas satisfaits des paroles du Seigneur et qu’ils ne s’en réjouirent pas. Ils se dirent : “Les êtres ordinaires perçoivent la terre comme terre alors que les moines qui s’exercent, les Accomplis et le Tathâgata la connaissent directement. Que signifie cela ? nous ne le comprenons pas alors que nous avons jusqu’à présent appris et compris facilement tout ce que nous disait le Seigneur.” Leur sentiment de supériorité s’effaça, ils retrouvèrent le respect dû au Seigneur et recommencèrent à venir le consulter.

Plus tard le Seigneur expliqua à d’autres moines qu’il avait déjà dû dans le passé rabaisser l’orgueil de ces moines d’origine brahmane, et il leur narra le Mûlapariyâyajâtaka, où il est question d’un éminent brahmane qui transmet tout son savoir à ses élèves, et ceux-ci finissent par se croire ses égaux, mais le gourou leur soumet deux énigmes qu’ils ne peuvent résoudre, ce qui les remet à leur place.

L’histoire ne s’arrête pas là. Par la suite le Seigneur se rendit à Vésali. Là, il vit que ces moines avaient mûri et il leur dit le Gotamakasutta (AN I 276) qui s’achève cette fois-ci à juste titre sur l’affirmation que les moines furent satisfaits des paroles du Seigneur et qu’ils s’en réjouirent.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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