MN 58
Abhayarājakumāra Sutta
— Au prince Abhaya —

Le Bouddha explique les critères pour déterminer si quelque chose vaut ou pas la peine de le dire. Ce discours est un très bel exemple de l'adresse du Bouddha en tant qu'enseignant: non seulement il parle à propos de la parole correcte, mais il la démontre également dans l'action.




Traduction de Michel Proulx


J'ai entendu qu'à une occasion le Béni du Ciel demeurait près de Rajagaha dans le Bosquet aux Bambous, le Sanctuaire des Ecureuils.

Alors le prince Abhaya alla trouver Nigantha Nataputta et en arrivant, s'étant incliné devant lui, s'assit d'un côté. Une fois assis là, Nigantha Nataputta lui dit, "Allons, maintenant, prince. Réfutez les paroles du contemplatif Gotama, et cet admirable témoignage sur vous se répandra au loin: 'Les paroles du contemplatif Gotama -- si fort, si puissant -- ont été réfutées par le prince Abhaya!'"

"Mais comment, vénérable monsieur, vais-je réfuter les paroles du contemplatif Gotama -- si fort, si puissant?"

"Allons maintenant, prince. Allez trouver le contemplatif Gotama et en arrivant dites ceci: 'Seigneur, est-ce que le Tathâgata dirait des paroles qui sont antipathiques et désagréables aux autres?' Si le contemplatif Gotama, ainsi interrogé, répond, 'Le Tathâgata dirait des paroles qui sont antipathiques et désagréables aux autres,' alors vous devrez dire, 'Alors quelle différence y a-t-il entre vous, seigneur, et des personnes ordinaires? Car même des personnes ordinaires disent des paroles qui sont antipathiques et désagréables aux autres.' Mais si le contemplatif Gotama, ainsi interrogé, répond, 'Le Tathâgata ne dirait pas des paroles qui sont antipathiques et désagréables aux autres,' alors vous devrez dire, 'Alors comment, seigneur, avez-vous pu dire de Devadatta que "Devadatta se dirige vers la destitution, Devadatta se dirige vers l'enfer, Devadatta bouillira pendant un éon, Devadatta est incurable"? Car Devadatta a été bouleversé et contrarié par ces paroles de vous.' Lorsque le contemplatif Gotama vous entendra lui poser cette question à deux pointes, il ne pourra ni l'avaler ni la recracher. C'est tout comme si une châtaigne à deux cornes se trouvait coincée dans la gorge d'un homme: il ne pourrait ni l'avaler ni la recracher. De la même manière, quand le contemplatif Gotama vous entendra lui poser cette question à deux pointes, il ne pourra ni l'avaler ni la recracher."

En lui répondant, "Comme vous le dites, vénérable monsieur," le prince Abhaya se leva de son siège, s'inclina devant Nigantha Nataputta, en fit le tour [dans le sens des aiguilles d'une montre], et alla alors trouver le Béni du Ciel. En arrivant, il s'inclina devant au Béni du Ciel et s'assit d'un côté. Une fois assis là, il jeta un regard au soleil et se dit, "Aujourd'hui ce n'est pas le moment de réfuter les paroles du Béni du Ciel. Demain ma propre demeure je renverserai les paroles du Béni du Ciel." Il dit donc au Béni du Ciel, "Puisse le Béni du Ciel, accompagné de trois autres, acquiescer à mon offre de repas pour demain."

Le Béni du Ciel acquiesça en silence.

Alors le prince Abhaya, comprenant l'acquiescement du Béni du Ciel, se leva de son siège, s'inclina devant au Béni du Ciel, en fit le tour [dans le sens des aiguilles d'une montre], et partit.

Alors, après que la nuit soit passée, le Béni du Ciel tôt au matin mit ses robes et, en portant son bol et sa robe extérieure, se rendit chez le prince Abhaya. En arrivant, il s'assit sur un siège qui lui avait été préparé. Le prince Abhaya, de sa propre main, servit et satisfit le Béni du Ciel avec de fines nourritures locales et exotiques. Puis, quand le Béni du Ciel eut mangé et eut enlevé la main de son bol, le prince Abhaya prit un siège plus bas et s'assit d'un côté. Une fois assis là il dit au Béni du Ciel, "Seigneur, est-ce que le Tathâgata dirait des paroles qui sont antipathiques et désagréables aux autres?"

"Prince, il n'existe à cela aucune réponse catégorique par oui-ou-non."

"Alors en ce cas, seigneur, les Niganthas sont détruits."

"Mais prince, pourquoi dites-vous, 'Alors en ce cas, seigneur, les Niganthas sont détruits'?"

"Juste hier, seigneur, je suis allé trouver Nigantha Nataputta et... il m'a dit...'Allons maintenant, prince. Allez trouver le contemplatif Gotama et en arrivant dites ceci: 'Seigneur, est-ce que le Tathâgata dirait des paroles qui sont antipathiques et désagréables aux autres?"... C'est tout comme si une châtaigne à deux cornes se trouvait coincée dans la gorge d'un homme: il ne pourrait ni l'avaler ni la recracher. De la même manière, quand le contemplatif Gotama vous entendra lui poser cette question à deux pointes, il ne pourra ni l'avaler ni la recracher.'"

Or à ce moment-là un bébé garçon reposait sur le dos sur les genoux du prince. Le Béni du Ciel dit donc au prince, "Qu'en pensez-vous, prince: Si ce petit garçon, de par votre propre négligence ou celle de la nourrice, devait prendre un bâton ou un morceau de gravier dans sa bouche, que feriez-vous?"

"Je le lui enlèverais, seigneur. Si je ne pouvais le lui enlever immédiatement, alors, en lui tenant la tête de ma main gauche et en courbant un doigt de la droite, je le lui enlèverais, même s'il me fallait pour cela tirer le sang. Pourquoi cela? Parce que j'ai de la sympathie pour le petit garçon."

"De la même manière, prince:

[1] Dans le cas de paroles que le Tathâgata sait être non-factuelles, fausses, non-bénéfiques (ou: sans rapport avec le mais), antipathiques et désagréables aux autres, il ne les dit pas.

[2] Dans le cas de paroles que le Tathâgata sait être factuelles, vraies, non-bénéfiques, antipathiques et désagréables aux autres, il ne les dit pas.

[3] Dans le cas de paroles que le Tathâgata sait être factuelles, vraies, bénéfiques, mais antipathiques et désagréables aux autres, il sait le moment approprié pour les dire.

[4] Dans le cas de paroles que le Tathâgata sait être non-factuelles, fausses, non-bénéfiques, mais sympathiques et agréables aux autres, il ne les dit pas.

[5] Dans le cas de paroles que le Tathâgata sait être factuelles, vraies, non-bénéfiques, mais sympathiques et agréables aux autres, il ne les dit pas.

[6] Dans le cas de paroles que le Tathâgata sait être factuelles, vraies, bénéfiques, et sympathiques et agréables aux autres, il sait le moment approprié pour les dire. Pourquoi cela? Parce que le Tathâgata a de la sympathie pour les êtres vivants."

"Seigneur, quand de sages nobles ou prêtres, maîtres de maison ou contemplatifs, ayant formulé des questions, viennent trouver le Tathâgata et les lui posent, est-ce que cette ligne de raisonnement apparaît à l'avance à sa conscience -- 'Si ceux qui m'approchent demandent ceci, je leur répondrai -- le cas échéant -- de cette manière' -- ou est-ce que le Tathâgata trouve la réponse sur le champ?"

"En ce cas, prince, je vais vous poser une contre-question. Répondez comme bon vous semble. Qu'en pensez-vous: êtes-vous habile dans les parties d'un chariot?"

"Oui, seigneur. je suis habile dans les parties d'un chariot."

"Et qu'en pensez-vous: Lorsqu'on vient vous demander, 'Quel est le nom de cette partie du chariot?' est-ce que cette ligne de raisonnement apparaît à l'avance à votre conscience -- 'Si ceux qui m'approchent demandent ceci, je leur répondrai -- le cas échéant -- de cette manière' -- ou trouvez-vous la réponse sur le champ?"

"Seigneur, je suis renommé pour être habile dans les parties d'un chariot. Toutes les parties d'un chariot me sont bien connues. Je trouve la réponse sur le champ."

"De la même manière, prince, quand de sages nobles ou prêtres, maîtres de maison ou contemplatifs, ayant formulé des questions, viennent trouver le Tathâgata et les lui posent, il trouve la réponse sur le champ. Pourquoi cela? Parce que la propriété du Dhamma est complètement pénétrée par le Tathâgata. De par sa complète pénétration de la propriété du Dhamma, il trouve la réponse sur le champ."

Lorsque ceci eut été dit, le prince Abhaya dit au Béni du Ciel: "Magnifique, seigneur! Magnifique! Tout comme s'il devait redresser ce qui avait été renversé, révéler ce qui était caché, montrer le chemin à qui s'était perdu, ou porter une lampe dans l'obscurité de sorte que ceux qui ont des yeux puissent voir les formes, de même le Béni du Ciel -- par plusieurs lignes de raisonnement -- a éclairci le Dhamma. Je prends refuge auprès du Béni du Ciel, du Dhamma, et du Sangha des moines. Puisse le Béni du Ciel se rappeler de moi comme d'un disciple laïc qui est venu prendre refuge auprès de lui, à partir de ce jour, pour la vie."





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par vén. Thanissaro et de l'Anglais par Michel Proulx.

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