MN 146
Nandakovāda Sutta
— Le récit de l’instruction de Nandaka —

Nandaka donne aux bhikkhounis une série de métaphores éclairantes pour expliquer l'illusion de la constance des phénomènes, ainsi que ce que signifie le détachement.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Sâvatthi, dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta.

Or la grande dame Gotamî vint trouver le Seigneur avec cinq centaines de nonnes. Elle le salua en arrivant et resta convenablement debout. Ainsi debout, elle pria le Seigneur :

—Que le Seigneur instruise les nonnes ! Que le Seigneur enseigne aux nonnes ! Que le Seigneur parle aux nonnes de la réalité !

(Après le départ de ces nonnes, le Seigneur rassembla les moines et leur confia la charge de les instruire à tour de rôle)

En cette circonstance les moines confirmés instruisirent les nonnes à tour de rôle. Mais le vénérable Nandaka ne voulut pas les instruire quand son tour fut venu.

(En explorant ses vies antérieures, Nandaka avait vu que ces nonnes avaient été ses concubines alors que lui-même régnait. Il craignit qu’un autre moine doué de la même capacité ne puisse le soupçonner d’avoir encore de l’attachement pour ses anciennes épouses. Il était donc allé, lorsque son tour approchait, près d’un autre village où il s’occupait à coudre des robes monastiques)

Le Seigneur appela le vénérable Ânanda :

—Qui doit instruire les nonnes aujourd’hui, Ânanda ?

—C’est le tour de Nandaka, Seigneur, mais le vénérable Nandaka ne veut pas les instruire.

Le Seigneur fit convoquer le vénérable Nandaka :

—Instruis les nonnes, Nandaka. Enseigne aux nonnes, Nandaka. Parle aux nonnes de la réalité, brahmane.

—Qu’il en soit ainsi, Seigneur, répondit le vénérable Nandaka.

Le vénérable Nandaka s’habilla de bonne heure, prit son bol d’aumône et sa robe et entra dans Sâvatthi pour mendier. Après avoir mendié dans Sâvatthi, en revenant de sa tournée d’aumônes, après son repas, il se rendit seul au Parc Royal. Les nonnes virent approcher le vénérable Nandaka, dressèrent un siège et préparèrent de l’eau pour les pieds. Le vénérable s’assit sur le siège préparé et se lava les pieds. Les nonnes saluèrent le vénérable et s’assirent convenablement. Quand elles furent bien assises, le vénérable Nandaka leur dit :

—Nous aurons un entretien par questions-réponses, mes sœurs. Celles qui comprendront devront dire qu’elles comprennent. Celles qui ne comprendront pas devront dire qu’elles ne comprennent pas. Quant à celles qui auraient un doute ou une perplexité, elles devront me questionner : “On a dit ceci, Seigneur, quel en est le sens ?”

—Cette façon de faire de la part de maître Nandaka nous ravit, Seigneur, la proposition de maître Nandaka nous réjouit.

—Pensez-vous, mes sœurs, que l’œil (faculté de voir) soit permanent ou temporaire ?

—Temporaire, Seigneur.

—Le fait qu’il soit temporaire, est-ce satisfaisant ou insatisfaisant ?

—Insatisfaisant, Seigneur.

—Et ce qui est temporaire, insatisfaisant et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome” ?

—Certainement pas, Seigneur.

—Pensez-vous, mes sœurs, que l’oreille… le nez… la langue… le corps… la faculté de connaître soient permanents ou temporaires ?

—Temporaires, Seigneur.

—Le fait qu’ils soient temporaires, est-ce satisfaisant ou insatisfaisant ?

—Insatisfaisant, Seigneur.

—Et ce qui est temporaire, insatisfaisant et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome” ?

—Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Auparavant déjà nous avons bien vu, tel que c’est, grâce à une juste sagacité, que ces six domaines personnels étaient temporaires.

—C’est bien, mes sœurs, c’est bien. Ainsi en va-t-il pour les purs disciples qui voient les choses telles qu’elles sont, avec une juste sagacité.

« Pensez-vous, mes sœurs, que les apparences visibles… les sons… les odeurs… les saveurs… les touchers… les réalités connaissables… la conscience visuelle… la conscience auditive… la conscience olfactive… la conscience gustative… la conscience tactile… la conscience cognitive soient permanents ou temporaires ?

—Temporaires, Seigneur.

—Le fait qu’ils soient temporaires, est-ce satisfaisant ou insatisfaisant ?

—Insatisfaisant, Seigneur.

—Et ce qui est temporaire, insatisfaisant et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome” ?

—Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Auparavant déjà nous avons bien vu, tel que c’est, grâce à une juste sagacité, que les six domaines externes et les six groupes de conscience étaient temporaires.

—C’est bien, mes sœurs, c’est bien. Ainsi en va-t-il pour les purs disciples qui voient les choses telles qu’elles sont, avec une juste sagacité.

« Imaginez, mes sœurs, une lampe à huile allumée. L’huile ne dure qu’un temps, elle va s’épuiser. La mèche ne dure qu’un temps elle aussi, elle va se consumer. La flamme est temporaire, elle va s’éteindre. Et la lumière aussi est temporaire, elle va disparaître.

Parlerait-on correctement en affirmant : “L’huile de cette lampe allumée ne dure qu’un temps et va s’épuiser, la mèche ne dure qu’un temps et va se consumer, la flamme est temporaire et va s’éteindre, mais la lumière, elle, est éternelle, durable, permanente, immuable” ?

—Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que l’huile de cette lampe allumée ne dure qu’un temps et va s’épuiser, la mèche aussi ne dure qu’un temps et va se consumer, la flamme est temporaire et va s’éteindre, et la lumière est assurément temporaire et va disparaître.

—De même, mes sœurs, parlerait-on correctement si on affirmait : “Les six domaines personnels sont temporaires, mais l’agréable, le désagréable ou le neutre que je ressens à cause des six domaines personnels est éternel, durable, permanent, immuable” ?

—Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que tel ou tel ressenti résulte de telle et telle condition, et que chaque ressenti cesse quand la condition correspondante disparaît.

—C’est bien, mes sœurs, c’est bien. Ainsi en va-t-il pour les purs disciples qui voient les choses telles qu’elles sont, avec une juste sagacité.

« Imaginez à présent, mes sœurs, un grand arbre debout, solide. Ses racines sont temporaires et vont pourrir, son tronc est temporaire lui aussi et va se détériorer, sa ramure feuillue est provisoire et va dépérir, et son ombre est temporaire et va disparaître.

Parlerait-on correctement en affirmant : “Les racines de ce grand arbre sont temporaires et vont pourrir, son tronc est temporaire et va se détériorer, sa ramure feuillue est provisoire et va dépérir, mais son ombre est éternelle, durable, permanente, immuable” ?

—Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que ses racines… son tronc… sa ramure… sont temporaires, vont s’abîmer, et son ombre est assurément temporaire elle aussi et va disparaître.

—De même, mes sœurs, parlerait-on correctement si on affirmait : “Les six domaines externes sont temporaires, mais l’agréable, le désagréable ou le neutre que je ressens à cause des six domaines externes est éternel, durable, permanent, immuable” ?

—Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que tel ou tel ressenti résulte de telle et telle condition, et que chaque ressenti cesse quand la condition correspondante disparaît.

—C’est bien, mes sœurs, c’est bien. Ainsi en va-t-il pour les purs disciples qui voient les choses telles qu’elles sont, avec une juste sagacité.

« Imaginez maintenant, mes sœurs, qu’un boucher chevronné ou son apprenti ait abattu une vache et la découpe avec un coutelas bien aiguisé. Sans endommager la masse des chairs à l’intérieur ni abîmer l’étendue de peau à l’extérieur, il tranche avec son couteau aigu tout ce qui est tendons, nerfs et ligaments entre les deux, il les coupe et les sectionne. Quand il a fini de les trancher, de les couper, de les sectionner et de retirer la peau, il recouvre les restes de la vache avec cette même peau en disant :“Cette vache est reconstituée grâce à sa peau”. En disant cela, parlerait-il juste ?

—Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Comment ce boucher chevronné ou son apprenti qui a abattu une vache… pourrait-il affirmer que cette vache est reconstituée grâce à sa peau alors que sous la peau elle est dépecée ?

—J’ai composé cette image, mes sœurs, pour que vous compreniez bien le sens ainsi : la masse des chairs à l’intérieur représente les six domaines personnels, l’étendue de peau à l’extérieur représente les six domaines externes, les tendons, nerfs et ligaments qui sont entre les deux symbolisent le plaisir et l’attachement, le couteau effilé représente la sagacité pure qui tranche, coupe et sectionne les chaînes et les liens formés par les souillures mentales entre (l’interne et l’externe).

« Il y a sept facteurs de réalisation, mes sœurs. Le moine qui les cultive et les fait croître élimine les contaminations et voit de ses propres yeux, par connaissance directe, dans la réalité présente, l’absence de contamination, la Délivrance spirituelle et la Délivrance par la sagacité, il y accède, il y demeure.

Quels sont ces sept facteurs de réalisation ? Le moine cultive le facteur vigilance qui s’appuie sur l’isolement, sur le détachement, sur la cessation et qui aboutit à l’abandon total. Il cultive le facteur examen-des-agents… le facteur énergie… le facteur ravissement… le facteur tranquillité… le facteur concentration… et le facteur regard-neutre, tous s’appuyant sur l’isolement, sur le détachement, sur la cessation, et aboutissant à l’abandon total.

Tels sont les sept facteurs de réalisation dont la culture et l’accroissement mènent le moine à éliminer les contaminations et à voir de ses propres yeux, par connaissance directe, dans la réalité présente, l’absence de contamination, la Délivrance spirituelle et la Délivrance par la sagacité, à y accéder, à y demeurer. »

Après avoir donné ces instructions aux nonnes, le vénérable Nandaka les congédia :

—Allez, mes sœurs, il est temps.

Les nonnes étaient satisfaites des paroles du vénérable Nandaka. Elles s’en réjouirent, se levèrent de leur siège et tournèrent autour de lui en le gardant à leur droite.

Puis elles se rendirent auprès du Seigneur, le saluèrent en arrivant et restèrent convenablement debout.

Alors qu’elles étaient debout, le Seigneur leur dit :

—Allez, nonnes, il est temps.

Les nonnes saluèrent le Seigneur, tournèrent autour de lui en le gardant à leur droite et s’en allèrent.

Les nonnes venaient de partir quand le Seigneur dit aux moines :

—Le quatorzième jour du mois, jour d’uposatha, la lune est encore incomplète et il n’y a pas grand-monde qui doute et qui hésite sur le fait de savoir si elle est pleine ou non. De même, les nonnes sont satisfaites de l’enseignement de Nandaka mais leur souhait n’est pas comblé.

Puis le Seigneur s’adressa au vénérable Nandaka :

—Donc, Nandaka, il va falloir que tu instruises encore ces nonnes demain avec le même enseignement.

—Bien, Seigneur, répondit le vénérable Nandaka.

A la fin de la nuit, le vénérable Nandaka s’habilla de bonne heure…

(le récit se répète à l’identique jusqu’au moment où les nonnes quittent le Seigneur)

Les nonnes venaient de partir quand le Seigneur dit aux moines :

—Le quinzième jour du mois, jour d’uposatha, la lune est pleine et il n’y a pas grand-monde qui doute et qui hésite sur le fait de savoir si elle est complète ou non. De même, les nonnes sont satisfaites de l’enseignement de Nandaka et leur souhait est comblé. Les dernières de ces cinq cents nonnes sont entrées dans le courant, ne peuvent pas rechuter, sont stabilisées et assurées de la pleine Réalisation.

Ainsi parla le Seigneur.

Les moines furent satisfaits des paroles du Seigneur et ils s’en réjouirent.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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