MN 87
Piyajātika Sutta
— Le récit des êtres chers —

Voici pourquoi le Bouddha enseigne que le chagrin et les douleurs apparaissent à cause de l'attachement aux êtres chers.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Sâvatthi, dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta.

Or il arriva qu’un maître de maison perdit son fils unique qu’il aimait tendrement. Après cette mort, il n’avait plus l’envie de travailler ni même de manger. Il revenait toujours au lieu de la crémation et se lamentait : “Où es-tu, mon fils ? Où es-tu, mon fils ?”

Ce maître de maison alla trouver le Seigneur, le salua en arrivant et s’assit convenablement. Quand il fut bien assis, le Seigneur lui dit :

—Tu sembles ne pas avoir toutes tes facultés, maître de maison, ton aspect a changé.

—Comment mes facultés auraient-elles pu ne pas changer, Seigneur, quand le fils unique que j’aimais tendrement est mort ? Depuis sa mort je n’ai plus envie de travailler ni de manger. Je retourne toujours au lieu de la crémation et je me lamente : “Où es-tu, mon fils ? Où es-tu, mon fils ?”

—C’est ainsi, maître de maison, les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir.

—Qui peut penser cela, Seigneur, que les êtres chers soient source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir ? Au contraire, Seigneur, les êtres chers sont source et cause de joie et de plaisir.

Ainsi, ce maître de maison ne fut pas satisfait des paroles du Seigneur, il les rejeta, se leva et partit.

A ce moment un groupe de joueurs qui avaient la passion des dés s’adonnaient à leur plaisir non loin du Seigneur. Le maître de maison s’approcha d’eux, les aborda, leur dit qu’il était allé trouver le Seigneur et leur raconta que le Seigneur lui avait dit : “C’est ainsi, maître de maison, les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir”. Il avait répondu : “Qui peut penser cela, Seigneur, que les êtres chers soient source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir ? Au contraire, Seigneur, les êtres chers sont source et cause de joie et de plaisir”. Et il termina en disant :

—Je ne fus pas satisfait des paroles du Seigneur, je les ai rejetées, je me suis levé et suis parti.

—Tu as raison, maître de maison, il en est bien ainsi : les êtres chers sont source et cause de joie et de plaisir.

Le maître de maison s’en alla en disant : “Je suis d’accord avec les joueurs de dés”.

La teneur de cette conversation se propagea peu à peu jusque dans les appartements du roi Pasénadi du Kosala. Le roi s’adressa à la divine Mallikâ :

—Voici ce qu’a dit ton ascète Gotama, Mallikâ : les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir.

—Si le Seigneur l’a dit, grand roi, il en est ainsi.

—Il en est ainsi ! Quoi que dise l’ascète Gotama, Mallikâ en est toujours satisfaite : “Si le Seigneur l’a dit, il en est ainsi” ! Quoi qu’un maître dise à ses disciples, ceux-ci en sont tout satisfaits : “Il en est ainsi, maître, il en est bien ainsi”. C’est de la même façon que tu es enchantée par tout ce que dit l’ascète Gotama. Va-t-en, Mallikâ ! Sors !

Par la suite la divine Mallikâ s’adressa au brahmane Nâlijaṅgha :

—Toi, brahmane, va voir le Seigneur. Quand tu seras près de lui, salue pour moi de la tête les pieds du Seigneur et demande-lui s’il n’est pas malade ni indisposé, s’il se sent alerte, vigoureux et en bonne santé. Puis ajoute : “Le Seigneur a-t-il déclaré que les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir ?” Retiens bien ce que le Seigneur te répondra et rapporte-le moi. Car les Tathâgatas ne parlent pas faussement.

—Bien, madame, répondit le brahmane.

Le brahmane se rendit auprès du Seigneur. Il le salua en arrivant et conclut leur dialogue aimable et mémorable en s’asseyant convenablement. Une fois bien assis, le brahmane dit au Seigneur :

—La divine Mallikâ salue de la tête les pieds du Seigneur et demande s’il n’est pas malade ni indisposé, s’il se sent alerte, vigoureux et en bonne santé. Et elle ajoute : “Le Seigneur a-t-il déclaré que les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir ?”

—C’est ainsi, brahmane, c’est bien ainsi. Et voici comment il faut le comprendre. Il y eut autrefois dans cette ville de Sâvatthi une femme qui perdit sa mère. Cette mort lui fit perdre la raison, lui dérangea l’esprit. elle allait de rue en rue, de carrefour en carrefour en demandant : “Avez-vous vu ma mère ? Avez-vous vu ma mère ?”

« Et voici une autre façon de comprendre comment les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir. Il y eut autrefois dans cette ville de Sâvatthi une femme qui perdit son père… une femme qui perdit son frère…. une femme qui perdit sa soeur… une femme qui perdit son fils… une femme qui perdit sa fille … une femme qui perdit son mari… un homme qui perdit sa mère… un homme qui perdit son père… un homme qui perdit son frère… un homme qui perdit sa soeur… un homme qui perdit son fils… un homme qui perdit sa fille… un homme qui perdit son épouse. A la suite de cette mort, il perdit la raison, il eut l’esprit dérangé. Il allait de rue en rue et de carrefour en carrefour en demandant : “Avez-vous vu ma femme ? Avez-vous vu ma femme ?”

« Et voici encore une autre façon de comprendre comment les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir. Il y eut autrefois dans cette ville de Sâvatthi une femme qui était allé dans une famille proche. Or ces proches voulaient la faire rompre avec son mari pour lui en donner un autre, mais elle ne le voulait pas. Elle dit à son mari de Sâvatthi : “Mes proches désirent t’écarter, noble fils, mais moi je ne le veux pas”. Alors le mari coupa sa femme en deux et se suicida afin qu’ils soient à nouveau réunis après leur mort. Telles sont les façons de comprendre comment les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir. »

Le brahmane Nâlijaṅgha fut satisfait des paroles du Seigneur et il s’en réjouit. Puis il se leva, retourna auprès de la divine Mallikâ et lui rapporta toute la conversation qu’il avait eue avec le Seigneur.

Alors la divine Mallikâ alla trouver le roi Pasénadi du Kosala et lui demanda :

—Que penses-tu de cela, grand roi ? La jeune Vajîrî t’est-elle chère ?

—Certes, Mallikâ, la jeune Vajîrî m’est chère.

—Si la jeune Vajîrî mourait ou changeait de vie, grand roi, cela pourrait-il te causer du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—Si la jeune Vajîrî mourait ou changeait de vie, Mallikâ, cela pourrait même altérer mon énergie vitale. Comment cela ne causerait-il pas chez moi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—C’est de cela, grand roi, que le Seigneur qui sait et qui voit, qui est accompli et parfait Bouddha, a dit : “Les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir”.

« Que penses-tu de cela, grand roi ? La noble Vâsabhâ t’est-elle chère ?

—Certes oui, Mallikâ, la noble Vâsabhâ m’est chère.

—Si la noble Vâsabhâ mourait ou changeait de vie, grand roi, cela pourrait-il causer chez toi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—Si la noble Vâsabhâ mourait ou changeait de vie, Mallikâ, cela pourrait même altérer mon énergie vitale. Comment cela ne causerait-il pas chez moi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—C’est de cela, grand roi, que le Seigneur qui sait et qui voit, qui est accompli et parfait Bouddha, a dit : “Les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir”.

« Que penses-tu de cela, grand roi ? Le général Vidûdabha t’est-il cher ?

—Certes oui, Mallikâ, le général Vidûdabha m’est cher.

—Si le général Vidûdabha mourait ou changeait de vie, grand roi, cela pourrait-il causer chez toi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—Si le général Vidûdabha mourait ou changeait de vie, Mallikâ, cela pourrait même altérer mon énergie vitale. Comment cela ne causerait-il pas chez moi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—C’est de cela, grand roi, que le Seigneur qui sait et qui voit, qui est accompli et parfait Bouddha, a dit : “Les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir”.

« Que penses-tu de cela, grand roi ? Te suis-je chère ?

—Certes oui, Mallikâ, tu m’es chère.

—Si je mourais ou changeais de vie, grand roi, cela pourrait-il causer chez toi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—Si tu mourais ou changeais de vie, Mallikâ, cela pourrait même altérer mon énergie vitale. Comment cela ne causerait-il pas chez moi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—C’est de cela, grand roi, que le Seigneur qui sait et qui voit, qui est accompli et parfait Bouddha, a dit : “Les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir”.

« Que penses-tu de cela, grand roi ? Les Kâsis et les Kosalas te sont-ils chers ?

—Certes oui, Mallikâ, les Kâsis et les Kosalas me sont chers. Grâce à leur industrie, nous avons le santal de Kâsi, nous avons des colliers, des parfums et des onguents.

—Si les Kâsis ou les Kosalas mouraient ou changeaient de vie, grand roi, cela pourrait-il causer chez toi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—Si les Kâsis ou les Kosalas mouraient ou changeaient de vie, Mallikâ, cela pourrait même altérer mon énergie vitale. Comment cela ne causerait-il pas chez moi du chagrin, des lamentations, des souffrances physiques et morales et du désespoir ?

—C’est de cela, grand roi, que le Seigneur qui sait et qui voit, qui est accompli et parfait Bouddha, a dit : “Les êtres chers sont source et cause de chagrin, de lamentations, de souffrances physiques et morales et de désespoir”.

—C’est merveilleux, Mallikâ, c’est admirable comme le Seigneur comprend avec sagacité et voit avec sagacité ! Viens, Mallikâ, purifie-toi.

Puis le roi Pasénadi se leva de son siège, ajusta son vêtement de dessus sur son épaule, salua mains jointes dans la direction du Seigneur et s’écria par trois fois :

—Hommage au Seigneur accompli et parfait Bouddha !





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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