MN 86
Aṅgulimāla Sutta
— Le récit de collier-de-doigts —

Il avait fait le vœu de tuer mille êtres humains. Alors qu'il ne lui en reste plus qu'un à tuer et qu'il s'apprête au matricide, le Bouddha va à sa rencontre et le dompte. Il devient rapidement un arahant et sera l'un des disciples principaux du Bouddha.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait près de Sâvatthi, dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta.

A cette époque il y avait sur les terres du roi Pasénadi de Kosala un féroce bandit surnommé Collier-de-doigts qui avait du sang sur les mains. Il se complaisait dans le meurtre et ne connaissait aucune pitié envers les êtres vivants. Il réduisait les hameaux à néant, les villages en solitudes, les districts en déserts. Il avait tué un grand nombre d’hommes, et de leurs doigts il s’était fait un collier.

Un matin le Seigneur s’habilla de bonne heure, prit son bol et sa robe, et se rendit à Sâvatthi pour y mendier sa nourriture. Quand il eut parcouru Sâvatthi en mendiant et fini son repas, revenant de sa tournée d’aumônes, il rangea son lit-siège. Puis il prit son bol et sa cape et chemina sur la grand-route en direction du lieu où se trouvait Collier-de-doigts.

Par trois fois des vachers, des bergers et des paysans en fuite virent le Seigneur cheminer sur la grand-route vers le lieu où se trouvait Collier-de-doigts. Ils lui dirent :

—Ne vas pas sur cette route, ascète, car il y a sur cette route le féroce bandit Collier-de-doigts. Il a du sang sur les mains, se complaît dans le meurtre et ne connaît pas la pitié envers les êtres vivants. Il réduit les hameaux à néant, les villages en solitudes, les districts en déserts. Il porte un collier fait avec les doigts de tous ceux qu’il a tués. Sur cette route, même s’ils se regroupent à dix, à vingt, à trente ou à quarante, les gens tombent aux mains du bandit Collier-de-doigts.

Mais à chaque fois le Seigneur resta silencieux et continua sa route.

Le bandit Collier-de-doigts vit approcher le Seigneur et il eut cette pensée : “C’est étonnant ! C’est surprenant ! Sur cette route, même s’ils se groupent à dix, à vingt, à trente ou à quarante, les hommes tombent entre mes mains. Pourtant cet ascète va seul, sans le renfort d’un second, semble-t-il. Je vais prendre la vie de cet ascète.”

Collier-de-doigts empoigna son épée et son bouclier, ceignit son arc et son carquois et courut après le Seigneur. Mais celui-ci mit en oeuvre une magie telle que le bandit qui courait de toutes ses forces ne pouvait rattraper le Seigneur qui marchait normalement. Alors il vint à Collier-de-doigts cette pensée : “C’est étonnant, c’est surprenant, j’ai déjà pourchassé et rattrapé un éléphant à la course, et j’ai aussi rejoint un cheval galopant, j’ai encore poursuivi et rattrapé un char qui filait, et même un daim au galop je l’ai traqué et attrapé. Mais cet ascète qui marche normalement, je ne peux l’atteindre bien que je coure de toutes mes forces.”

Alors il s’arrêta et dit au Seigneur :

—Arrête-toi, ascète ! Arrête-toi !

—Je suis arrêté, Collier-de-doigts. Mais toi, arrête-toi !

Alors le bandit Collier-de-doigts pensa : “ Ces ascètes fils des Sakyas disent la vérité, ils reconnaissent la vérité. Pourtant, alors qu’il marche, cet ascète dit “je suis arrêté, Collier-de-doigts, mais toi, arrête-toi.” Je dois questionner cet ascète. Et le bandit adressa en vers au Seigneur :

Ascète, tout en marchant tu dis “je suis arrêté”

Et à moi qui le suis, tu dis “arrête-toi”

Je te pose donc cette question, ascète :

Comment es-tu arrêté ? Comment ne le suis-je pas ?

—Je suis arrêté, Collier-de-doigts, car j’ai posé,

Le bâton, partout, toujours, envers tous les êtres.

Toi, tu es sans pitié à l’endroit des vivants

Ainsi suis-je arrêté. Mais toi tu ne l’es pas

—Enfin je peux saluer un grand sage voyant,

Ascète qui est venu dans la grande forêt

Enfin je vais pouvoir abandonner le mal

Car j’ai bien entendu ton chant de vérité

Puis le bandit jeta l’ensemble de ses armes

Dans un gouffre escarpé profond comme l’enfer

Puis il rendit hommage aux pieds du Bienheureux

Et lui demanda sur le champ l’admission.

Le Sage compatissant, le Bouddha en personne

Lui le Maître du monde ainsi que de ses dieux

Lui dit à ce moment “Viens, moine !”

Ce mot lui conféra l’état de moine mendiant.

Ensuite le Seigneur se mit en route vers Sâvatthi avec le vénérable Collier-de-doigts comme assistant. Progressant par étapes, il rejoignit Sâvatthi et y séjourna dans le parc Anâthapindika du bois Jéta.

Une grande foule s’était rassemblée devant le palais du roi Pasénadi de Kosala et poussait des clameurs, force grands cris :

—Sur tes terres, divin roi, il y a le féroce bandit Collier-de-doigts. Il a du sang sur les mains, il se complaît dans le meurtre et ne connaît pas la pitié envers les êtres vivants. Il réduit les hameaux à néant, les villages en solitudes, les districts en déserts. Il a tué bien des gens et s’est fait un collier de leurs doigts. Que le divin roi le chasse !

Alors le roi Pasénadi quitta Sâvatthi tôt le matin avec pas moins de cinq centaines de chevaux et se dirigea vers le jardin d’Anâthapiṇḍika. Tant que le sol fut carrossable, le roi fit avancer son char. Puis il en descendit et s’approcha du Seigneur à pied. Il salua le Seigneur et s’assit convenablement. Quand le roi fut bien assis, le Seigneur lui demanda :

—Que t’arrive-t-il, grand roi ? Le roi Bimbisara du Mâgadha est-il fâché contre toi, grand roi ? Ou les Licchavis de Vésali ? Ou un roi ennemi ?

—Non, Seigneur. Le roi Bimbisara du Mâgadha n’est pas fâché contre moi, ni les Licchavis de Vésali, pas plus qu’un roi ennemi. Mais il y a sur mes terres, Seigneur, le féroce bandit Collier-de-doigts qui a du sang sur les mains, se complaît dans le meurtre et ne connaît aucune pitié envers les êtres vivants. Il réduit les hameaux à néant, les villages en solitudes, les districts en déserts, il porte un collier des doigts de tous ceux qu’il a tués, et moi je ne pourrai pas le chasser.

—Si tu voyais, grand roi, que Collier-de-doigts s’est fait raser les cheveux et la barbe, qu’il a revêtu les robes safran, qu’il est passé du foyer au sans-foyer, qu’il s’abstient de détruire le souffle vital, s’abstient de prendre ce qui n’est pas donné, s’abstient de tromper, qu’il mange un seul repas par jour et mène la vie sainte, qu’il est discipliné et vertueux, que ferais-tu à son sujet ?

—Nous le saluerions, Seigneur, nous nous lèverions, nous lui proposerions un siège, nous lui offririons les nécessités que sont le vêtement, le bol d’aumône, le lit-siège et les médicaments en cas de maladie, et nous lui assurerions une protection conforme à la règle. Mais comment, Seigneur, cet homme immoral et cruel pourrait-il devenir discipliné et modéré ?

A ce moment le vénérable Collier-de-doigts était assis non loin du Seigneur. Le Seigneur étendit le bras en disant :

—Grand roi, voici Collier-de-doigts.

Alors le roi eut très peur, il fut tétanisé, tous ses poils se hérissèrent. Le Seigneur vit sa peur et lui dit :

—N’aie pas peur, grand roi ! N’aie pas peur ! Il n’y a rien ici que tu doives craindre.

La peur du roi s’apaisa, la tétanie retomba avec le hérissement. Le roi s’approcha du vénérable Collier-de-doigts et lui demanda :

—Messire est-il bien Collier-de-doigts ?

—Oui, grand roi !

—Quel est le clan paternel de messire ? Et son clan maternel ?

—Mon père s’appelle Gagga, grand roi, et ma mère Mantânî.

—Que messire Gagga, fils de Mantânî, se réjouisse. Je ferai diligence en sa faveur quant aux nécessités que sont le vêtement, le bol à aumônes, le lit-siège et les médicaments en cas de maladie.

A cette époque le vénérable Collier-de-doigts vivait dans les bois, mendiait sa nourriture, s’habillait de rebuts et se contentait des trois robes. Il dit au roi :

—J’ai assez, grand roi, mes trois robes sont au complet.

Le roi Pasénadi retourna auprès du Seigneur, le salua de nouveau et s’assit convenablement. Une fois bien assis, il dit au Seigneur :

—C’est étonnant, Seigneur ! C’est surprenant comme le Seigneur dompte les indomptés, apaise les inapaisés, dénoue complètement ceux qui n’étaient pas complètement dénoués ! Celui que nous n’avons pas pu dompter par le bâton et l’épée, le Seigneur l’a dompté sans bâton ni épée. Allons ! Maintenant nous partons, Seigneur, car nous avons beaucoup d’obligations, beaucoup à faire.

—Si tu penses qu’il en est temps, grand roi.

Le roi Pasénadi du Kosala se leva, salua le Seigneur et s’en alla en le gardant à sa droite.

(Lorsque Collier-de-doigts allait mendier à Sâvatthi, les gens le reconnaissaient et étaient terrifiés. Certains s’enfuyaient dans les bois, d’autres s’enfermaient chez eux, ceux qui ne pouvaient fuir lui tournaient le dos et restaient immobiles en tremblant. Le vénérable n’obtenait aucune aumône. Voici comment il éprouva pour la première fois de la pitié.)

Le vénérable Collier-de-doigts s’habilla de bon matin, prit son bol et sa cape et entra à Sâvatthi pour mendier. Pendant qu’il parcourait la ville en mendiant, il aperçut une femme dont le foetus se présentait de travers et dont les entrailles étaient meurtries. La scène lui inspira cette pensée “Que de tourments subissent les êtres ! Que de tourments subissent les êtres !”

Quand il eut parcouru Sâvatthi en mendiant et fini son repas, en revenant de sa tournée d’aumônes, il rendit visite au Seigneur. Il s’approcha, salua le Seigneur et s’assit convenablement. Une fois bien assis, il raconta au Seigneur :

—M’étant habillé de bon matin, Seigneur, je pris mon bol et ma cape et j’allai à Sâvatthi pour mendier. Pendant que je parcourais la ville en mendiant, j’aperçus une femme dont le foetus se présentait de travers et dont les entrailles étaient meurtries, et j’ai pensé “Que de tourments subissent les êtres ! Que de tourments subissent les êtres !”

—Retourne à Sâvatthi, Collier-de-doigts, va voir cette femme et dis-lui : “Depuis que je suis né, petite soeur, je ne me souviens pas d’avoir volontairement privé un être vivant de la vie. Par cette vérité sois saine et sauve ainsi que le bébé”.

—Mais ce serait un mensonge délibéré de ma part, Seigneur, car j’ai volontairement privé de la vie un grand nombre d’êtres vivants.

—Alors, Collier-de-doigts, retourne à Sâvatthi, va voir cette femme et dis-lui : “Depuis que je suis né par la naissance sans tache, petite soeur, je ne me souviens pas d’avoir volontairement privé un être vivant de la vie. Par cette vérité sois saine et sauve ainsi que le bébé”.

—Bien, Seigneur.

Le vénérable Collier-de-doigts acquiesça, retourna à Sâvatthi, alla trouver la femme et lui dit :

—Depuis que je suis né par la naissance sans tache, petite soeur, je ne me souviens pas d’avoir volontairement privé un être vivant de la vie. Par cette vérité sois saine et sauve ainsi que le bébé.

Une fois le vénérable Collier-de-doigts resté solitaire, retiré, vigilant, énergique et résolu, il ne lui fallut pas longtemps pour voir de ses propres yeux, par connaissance directe, dans la réalité présente, cet Aboutissement insurpassable de la vie sainte pour lequel les fils de bonne famille passent à juste titre du foyer au sans-foyer, il y accéda, il y demeura. Il reconnut “détruite est la naissance, achevée la vie sainte, fait ce qui était à faire et rien de plus ici-bas”. Le vénérable Collier-de-doigts devint l’un des Accomplis.

(Dans l’épisode suivant où le vénérable Collier-de-doigts reçoit des projectiles, ceux-ci ne lui sont pas destinés mais visent à chasser des animaux tels que corbeaux, chiens ou cochons. Le vénérable passe par là au mauvais moment.)

Le vénérable Collier-de-doigts s’habilla de bon matin, prit son bol et sa cape et entra à Sâvatthi pour mendier. Cette fois-ci une motte de terre tomba sur le vénérable Collier-de-doigts, et aussi un bâton lancé par quelqu’un d’autre, et une pierre jetée par un troisième. Le vénérable Collier-de-doigts eut le crâne fendu, ensanglanté, son bol était brisé et sa robe déchirée. Il vint trouver le Seigneur.

Quand le Seigneur le vit arriver, il lui dit :

—Accepte, brahmane ! Accepte ! Tu expérimentes dans la vie présente le mûrissement des actions qui autrement t’auraient précipité en enfer pour un grand nombre d’années, un grand nombre de centaines d’années, un grand nombre de milliers d’années.

Le vénérable Collier-de-doigts, solitaire et retiré, éprouva le bonheur de la Délivrance. En cette occasion il s’exclama :

Passer de l’insouciance à la vigilance

Eclaire l’univers comme la lune sortant des nuages

Remplacer les mauvaises actions par les bonnes

Eclaire l’univers comme la lune quand elle sort des nuages

Se rallier jeune moine à l’enseignement du Bouddha

Eclaire l’univers comme la lune sortant des nuages.

Que mes ennemis entendent sa parole de vérité !

Que mes ennemis se rallient à l’enseignement du Bouddha !

Que mes ennemis fréquentent les hommes de paix

Qui font accepter le Dhamma !

Que mes ennemis entendent proclamer à temps

La patience et la bonté, et les mettent en pratique !

Celui qui ne m’agresse pas, moi, ni personne d’autre,

Peut atteindre la Paix ultime, protéger les faibles et les forts.

Les jardiniers canalisent l’eau, les forgerons façonnent les flèches,

Les charpentiers travaillent le bois, mais les sages se disciplinent eux-mêmes

Il faut le bâton, l’aiguillon et le fouet pour en dresser certains

Mais le Saint m’a dompté sans bâton ni épée.

Moi qu’on appela Sans-méchanceté je fus méchant

Mais je mérite à présent mon nom car je ne nuis plus à personne.

J’étais autrefois le fameux bandit Collier-de-doigts

Mais quand la crue déjà m’emportait, j’ai trouvé refuge auprès du Bouddha

J’avais du sang sur les mains, moi le fameux Collier-de-doigts

Mais voyez la voie de mon refuge : le fil de la vie est coupé

Les actions qui m’auraient mené à de longues épreuves

Sont maintenant calcinées et je mange sans faire de dette.

Les sots demeurent insouciants par bêtise

Les sages gardent la vigilance comme suprême richesse

Ne tombez pas dans l’insouciance ni dans le plaisir des sens

Car il faut être vigilant et sortir des sens pour atteindre le Bonheur complet.

“Bonne entrée ! Ne pas repartir !” ce me fut un bon conseil

Car de toutes les réalités j’atteignis la meilleure.

Bonne entrée ! Ne pas repartir !” ce me fut un bon conseil

Car j’ai acquis les trois sciences et parachevé l’instruction du Bouddha.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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