MN 75
Māgandiya Sutta
— Le récit de Māgandhiya —

Ce soutta est particulièrement intéressant dans le contexte moderne, car les opinions à dominante hédoniste exprimées ici par Magandiya et réfutées magistralement par le Bouddha sont généralement partagées par nos semblables, et nous avons nous-même une tendance plus ou moins prononcée à nous laisser aller à les accepter. Le Bouddha offre une perspective totalement différente de ce qui est communément accepté dans notre société occidentale et une ouverture à une autre vision de la réalité.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait chez les Kourous, dans un village qui se nomme Kammâssadhamma, chez un brahmane du clan Bhâradvâja, dans la salle du feu sacré, sur une jonchée d’herbes.

Un matin le Seigneur s’habilla de bonne heure, prit son bol et sa robe et se rendit à Kammâssadhamma pour y mendier sa nourriture. Quand il eut parcouru Kammâssadhamma en mendiant et fini son repas, en revenant de sa tournée d’aumônes, il se dirigea vers un bois pour y passer la journée, s’y enfonça et s’assit au pied d’un arbre pour toute la journée.

À cette époque le renonçant Mâgandiya marchait beaucoup et se déplaçait constamment. Il arriva à la salle du feu chez le brahmane du clan Bhâradvâja, il y vit la jonchée d’herbes qui y était disposée et demanda au brahmane :

—Pour qui est préparée cette litière d’herbes dans la salle du feu de l’honorable Bhâradvâja ? On dirait la couche d’un ascète.

—Il y a, honorable Mâgandiya, l’ascète Gotama, fils des Sakyas, qui est sorti du clan Sakya. Une flatteuse réputation accompagne cet honorable Gotama : “Le Seigneur est accompli, parfait Bouddha, doué de science et de bonne conduite, bien-allé, connaisseur du monde, suprême, cocher des mâles à dresser, maître des dieux et des hommes, Bouddha et Seigneur” et c’est pour l’honorable Gotama qu’est disposée la couche que voilà.

—Quel triste spectacle nous avons eu là, honorable Bhâradvâja, quand nous avons aperçu la couche de l’honorable Gotama, ce rabat-joie.

—Prends garde à tes paroles, Mâgandiya ! Prends garde à tes paroles ! Car nombreux sont les sages de la noblesse, les sages brahmanes, les sages chefs de foyer, les sages ascètes qui ont pleine confiance en l’honorable Gotama et qui s’exercent en suivant son système sans défaut, cette méthode habile.

—Honorable Bhâradvâja, si nous voyions face à face l’honorable Gotama, nous lui dirions face à face : “L’ascète Gotama est un rabat-joie”. Pourquoi le dirions-nous ? Parce que cela est écrit dans notre soutra.

—Je rapporterai cette conversation à l’ascète Gotama si cela ne gêne pas l’honorable Mâgandiya.

—Cela n’a pas d’importance. Que l’honorable Bhâradvâja répète ce qui a été dit.

Mais avec son oreille divine bien épurée et plus qu’humaine, le Seigneur entendit les propos échangés entre le brahmane Bhâradvâja et le renonçant Mâgandiya.

Vers le soir, le Seigneur sortit de la solitude, il se rendit à la salle du feu et s’assit sur la couche d’herbes. Le brahmane vint trouver le Seigneur. En arrivant il échangea des paroles courtoises avec le Seigneur puis conclut leurs salutations aimables et mémorables en s’asseyant convenablement. Quand Bhâradvâja fut bien assis, le Seigneur déclara :

—Tu as eu, Bhâradvâja, une conversation avec le renonçant Mâgandiya à propos de cette litière d’herbes.

A ces paroles, le brahmane fut ému (de la capacité supranormale manifestée par Gotama) au point que ses poils se hérissèrent, et il répondit au Seigneur :

—Voilà justement ce que je voulais raconter à l’honorable Gotama, mais l’honorable Gotama m’a devancé.

Cet échange entre le Seigneur et le brahmane fut interrompu car le renonçant Mâgandiya, qui ne pouvait plus rester en place, qui marchait constamment, se rendit à la salle du feu où était le Seigneur. En arrivant il échangea des paroles courtoises avec le Seigneur puis conclut leurs salutations aimables et mémorables en s’asseyant convenablement. Quand Mâgandiya fut bien assis, le Seigneur lui demanda :

—L’oeil, Mâgandiya, se complaît dans les apparences visibles, il s’en délecte, il en jouit, et le Tathâgata le dresse, le surveille, le préserve, le contrôle et montre la méthode pour le contrôler. N’est-ce pas à ce propos que tu as dit : “L’ascète Gotama est un rabat-joie” ?

—C’est bien à ce propos, honorable Gotama, que j’ai dit : “L’ascète Gotama est un rabat-joie”. Pourquoi l’ai-je dit ? Parce que cela est écrit dans notre soutra.

—L’oreille, Mâgandiya, se complaît dans les sons…

—Le nez, Mâgandiya, se complaît dans les odeurs…

—La langue, Mâgandiya, se complaît dans les saveurs…

—Le corps, Mâgandiya, se complaît dans les touchers…

—, Mâgandiya, se complaît dans les choses connaissables, il s’en délecte, il en jouit, et le Tathâgata le dresse, le surveille, le préserve, le contrôle et montre la méthode pour le contrôler. N’est-ce pas à ce propos que tu as dit : “L’ascète Gotama est un rabat-joie” ?

—C’est bien à ce propos, honorable Gotama, que j’ai dit : “L’ascète Gotama est un rabat-joie”. Pourquoi l’ai-je dit ? Parce que cela est écrit dans notre soutra.

—Que penses-tu de ceci, Mâgandiya ? Imagine que quelqu’un ait d’abord joui des apparences perceptibles par l’oeil… des sons perceptibles par l’oreille… des odeurs perceptibles par le nez… des saveurs perceptibles par la langue… et des touchers perceptibles par le corps, attirants, désirables, plaisants, attachants, sensuels, excitants. Mais par la suite il connaît, dans leur vérité, l’origine et la fin des apparences… des sons… des odeurs… des saveurs… et des touchers, leurs avantages, leurs inconvénients et comment leur échapper, il abandonne tout désir pour ces objets des sens, il fait tomber la fièvre, il chasse cette soif et garde sa paix intérieure. Que pourrais-tu lui reprocher, Mâgandiya ?

—Rien du tout, honorable Gotama.

—J’ai d’abord vécu à mon foyer, Mâgandiya. J’y ai bénéficié des cinq plaisirs sensoriels, les apparences perceptibles par l’oeil, les sons perceptibles par l’oreille, les odeurs perceptibles par le nez, les saveurs perceptibles par la langue et les touchers perceptibles par le corps, attirants, désirables, plaisants, attachants, sensuels, excitants. J’en ai profité et joui.

Et j’avais trois palais, un pour la mousson, un pour la saison froide et un pour la saison chaude. Pendant les quatre mois de la mousson, Mâgandiya, je jouissais de musiques qui n’étaient jouées que par des femmes et je ne sortais pas du palais de la mousson.

Mais par la suite j’ai connu dans leur vérité l’origine et la fin des plaisirs sensoriels, leurs avantages, leurs inconvénients et comment leur échapper. J’ai abandonné tout désir pour les plaisirs sensoriels, j’ai fait tomber la fièvre, chassé cette soif et gardé ma paix intérieure.

Je vois d’autres êtres qui ne sont pas détachés des plaisirs sensoriels mais dévorés d’avidité sensorielle, brûlant de fièvre sensorielle, s’adonnant aux plaisirs sensoriels. Je ne les envie pas et je ne me réjouis pas comme eux. Pourquoi ? Parce que, Mâgandiya, je bénéficie de ce plaisir extrasensoriel, étranger aux facteurs pernicieux, de ce bonheur divin qui persiste après une intense concentration, et je n’envie pas un plaisir inférieur, je ne m’en réjouis pas.

« Prenons, Mâgandiya, l’exemple d’un maître de maison ou d’un fils de maison, riche de beaucoup d’argent et de grands biens, qui bénéficie, profite et jouit des cinq plaisirs sensoriels : les apparences perceptibles par l’oeil, les sons perceptibles par l’oreille, les odeurs perceptibles par le nez, les saveurs perceptibles par la langue et les touchers perceptibles par le corps, attirants, désirables, plaisants, attachants, sensuels, excitants.

S’il a une bonne conduite physique, une bonne conduite verbale et une bonne conduite mentale, il peut renaître dans une bonne destinée, un monde céleste, en compagnie des dieux Trente-Trois. Là, dans le Parc de la Béatitude, il est entouré de l’assemblée des nymphes célestes et bénéficie, profite et jouit des cinq plaisirs des sens divins.

Il se peut qu’il voie alors un maître de maison ou un fils de maison qui bénéficie, profite et jouit des cinq plaisirs des sens humains. Qu’en penses-tu, Mâgandiya ? Ce fils de dieu dans le Parc de la Béatitude, entouré de l’assemblée des nymphes célestes, bénéficiant, profitant et jouissant des cinq plaisirs des sens divins, peut-il envier le maître de maison ou le fils de maison ? Désire-t-il retourner vers les plaisirs sensoriels humains ?

—Certainement pas, honorable Gotama. Pourquoi ? Parce que les plaisirs divins sont supérieurs aux plaisirs humains et bien plus merveilleux.

—De même, Mâgandiya, j’ai d’abord vécu à mon foyer… Mais ensuite j’ai connu dans leur vérité l’origine et la fin des plaisirs sensoriels, leurs avantages, leurs inconvénients et comment leur échapper. J’ai abandonné tout désir pour les plaisirs sensoriels, j’ai fait tomber la fièvre, chassé cette soif et gardé ma paix intérieure. Je vois d’autres êtres qui ne sont pas détachés des plaisirs sensoriels mais dévorés d’avidité sensorielle, brûlant de fièvre sensorielle, s’adonnant aux plaisirs sensoriels. Je ne les envie pas et je ne me réjouis pas comme eux.

« Prenons maintenant l’exemple, Mâgandiya, d’un lépreux aux membres endommagés, au corps putride dévoré par la vermine. Il gratte ses blessures avec ses ongles et cautérise ses plaies sur des charbons ardents.

Mais ses amis, relations, connaissances ou parents lui trouvent un chirurgien, ce chirurgien lui prescrit un traitement, et ce traitement le guérit de la lèpre. Il recouvre la santé, le bien-être, l’autonomie, l’indépendance et peut aller où il veut.

Il se peut qu’il voie alors un autre lépreux aux membres endommagés, au corps putride dévoré par la vermine, qui gratte ses blessures avec ses ongles et cautérise ses plaies sur des charbons ardents. Qu’en penses-tu, Mâgandiya ? Cet homme envierait-il le lépreux ? Se soignerait-il encore avec les charbons ardents ?

—Non, honorable Gotama. Pour quelle raison ? Parce qu’on doit se soigner quand on est malade, mais plus quand on est guéri.

—De même, Mâgandiya, j’ai d’abord vécu à mon foyer… Mais ensuite j’ai connu dans leur vérité l’origine et la fin des plaisirs sensoriels, leurs avantages, leurs inconvénients et comment leur échapper. J’ai abandonné tout désir pour les plaisirs sensoriels, j’ai fait tomber la fièvre, chassé cette soif et gardé ma paix intérieure. Je vois d’autres êtres qui ne sont pas détachés des plaisirs sensoriels mais dévorés d’avidité sensorielle, brûlants de fièvre sensorielle, s’adonnant aux plaisirs sensoriels. Je ne les envie pas et je ne me réjouis pas comme eux.

« Prenons encore l’exemple, Mâgandiya, du lépreux aux membres endommagés, au corps putride dévoré par la vermine. Il gratte ses blessures avec ses ongles et cautérise ses plaies sur des charbons ardents. Mais ses amis, relations, connaissances ou parents lui trouvent un chirurgien, ce chirurgien lui applique un traitement et ce traitement le guérit de la lèpre. Il recouvre la santé, le bien-être, l’autonomie, l’indépendance et peut aller où il veut.

Si deux hommes robustes le saisissent alors par les épaules et le traînent vers des charbons ardents, qu’en penses-tu, Mâgandiya ? Cet homme ne va-t-il pas se débattre ?

—Certes si, honorable Gotama. Pourquoi ? Parce que le contact du feu est douloureux, cuisant et brûlant.

—Qu’en penses-tu, Mâgandiya ? Est-ce seulement maintenant que le contact du feu est douloureux, cuisant et brûlant ? Ou l’était-il aussi auparavant (quand il servait à cautériser les plaies) ?

—Auparavant aussi, honorable Gotama, le contact du feu était douloureux, cuisant et brûlant. Mais ce lépreux avait alors des facultés sensorielles affaiblies et il percevait à tort comme agréable le contact très douloureux du feu.

—De même, Mâgandiya, les plaisirs sensoriels étaient dans le passé douloureux, cuisants et brûlants. Ils seront encore dans le futur douloureux, cuisants et brûlants. Et maintenant aussi ils sont douloureux, cuisants et brûlants. Mais les êtres qui ne sont pas détachés des plaisirs sensoriels mais au contraire dévorés d’avidité sensorielle et brûlants de fièvre sensorielle ont une faculté affaiblie, et ils perçoivent à tort comme agréables ces plaisirs sensoriels qui sont en réalité désagréables.

« Prenons toujours, Mâgandiya, l’exemple du lépreux aux membres endommagés, au corps putride dévoré par la vermine, qui gratte ses blessures avec ses ongles et cautérise ses plaies sur des charbons ardents. Plus ce lépreux se brûle sur les charbons ardents, plus ses blessures deviennent ignobles, nauséabondes et putrides. Et il ne trouve un peu d’agrément dans les charbons, une certaine satisfaction, que parce que ses blessures le démangent terriblement.

Il en va de même, Mâgandiya, pour les êtres qui ne sont pas détachés des plaisirs sensoriels mais au contraire dévorés d’avidité sensorielle et brûlants de fièvre sensorielle. Plus ces êtres s’adonnent aux plaisirs sensoriels, plus leur avidité sensorielle augmente et plus ils brûlent de fièvre sensorielle. Et ils ne trouvent un peu d’agrément, quelque satisfaction, que dans les cinq plaisirs sensoriels.

« Que penses-tu de ceci, Mâgandiya ? As-tu jamais vu, ou entendu dire, qu’un roi ou un grand ministre royal qui bénéficie, profite et jouit des cinq plaisirs sensoriels sans avoir abandonné l’avidité sensorielle ni chassé la fièvre sensorielle, ait pu, peut ou pourra chasser le désir et conserver sa paix intérieure ?

—Certes non, honorable Gotama.

—Bien, Mâgandiya. Moi non plus je n’ai jamais vu, ni entendu dire, qu’un roi ou qu’un grand ministre royal qui bénéficie, profite et jouit des cinq plaisirs sensoriels sans avoir abandonné l’avidité sensorielle ni chassé la fièvre sensorielle, ait été, soit ou sera sans plus aucun désir et l’esprit intimement apaisé.

« En revanche, Mâgandiya, les ascètes et les brahmanes qui ont réussi, réussissent ou réussiront à chasser la soif et à garder la paix intérieure, ont tous connu dans leur vérité l’origine et la fin des plaisirs sensoriels, leurs avantages, leurs inconvénients et comment leur échapper, ils ont tous abandonné l’avidité sensorielle, chassé la fièvre sensorielle, et ainsi ils ont pu, peuvent ou pourront chasser le désir et garder la paix intérieure. »

Et à ce moment le Seigneur proclama :

Le Bien-être est le suprême acquis, le Dénouement le bonheur suprême

Seul l’octuple chemin mène à la Paix, à l’Immortalité

Ainsi parla-t-il, et Mâgandiya s’exclama :

—C’est merveilleux, honorable Gotama ! c’est extraordinaire, honorable Gotama, comme ceci fut bien dit par l’honorable Gotama : “le bien-être est le suprême acquis, le dénouement le bonheur suprême ”. J’ai entendu dire, honorable Gotama, que les maîtres des maîtres des renonçants d’antan disaient aussi “le bien-être est le suprême acquis, le dénouement le bonheur suprême”. Et l’honorable Gotama en est d’accord.

—Mais dans cette maxime énoncée par les maîtres des maîtres des renonçants d’antan, qu’est-ce que le bien-être ? Qu’est le dénouement ?

Alors Mâgandiya se frotta les membres avec les mains :

—Ceci, honorable Gotama, est le bien-être, ceci est le dénouement, car je suis à présent en bonne santé, à l’aise, sans aucune maladie.

—Prenons, Mâgandiya, l’exemple d’un aveugle de naissance qui ne voit pas le noir, le blanc ni le jaune, le rouge ni le cramoisi, l’uni ni le bariolé, qui ne voit pas les étoiles, la lune ni le soleil. Il entend dire par quelqu’un qui a des yeux “il est bon d’avoir un vêtement blanc, bien coupé, immaculé, propre”, et il se met en quête d’un vêtement blanc. Mais un autre homme le dupe avec un manteau écru, taché et noirci : “Hé, brave homme, voilà pour toi un vêtement blanc, bien coupé, immaculé, propre”. L’aveugle prend ce vêtement, le met et l’exhibe avec joie en disant : “il est bon d’avoir un vêtement blanc, bien coupé, immaculé, propre”.

« Qu’en penses-tu, Mâgandiya ? Est-ce parce qu’il sait, est-ce parce qu’il voit, que cet aveugle prend le manteau écru, taché et noirci, qu’il le met et l’exhibe avec joie en disant “il est bon d’avoir un vêtement blanc, bien coupé, immaculé, propre” ? Ou est-ce parce qu’il fait confiance à celui qui a des yeux ?

—Non, honorable Gotama, ce n’est pas parce qu’il sait, parce qu’il voit, que cet aveugle agit ainsi, mais parce qu’il fait confiance à celui qui a des yeux.

—De même, Mâgandiya, les renonçants des autres écoles ne savent pas, ils n’ont pas l’oeil. Et sans connaître le Bien-être, sans voir le Dénouement, ils disent :

Le bien-être est le suprême acquis, et le dénouement le bonheur suprême.

« Mais les Accomplis d’antan pleinement réalisés disaient, eux :

Le Bien-être est le suprême acquis, le Dénouement le bonheur suprême

Seul l’octuple chemin mène à la Paix, à l’Immortalité

« Ce quatrain a pris peu à peu un sens terre à terre. En effet, Mâgandiya, le corps est comparable à une maladie, un abcès, une épine, une infortune, un mal. Or de ce corps tu as dit “ceci est le bien-être, ceci est le dénouement”, car tu n’as pas l’œil pur qui te permettrait de connaître le Bien-être et de voir le Dénouement.

—J’ai maintenant confiance en l’honorable Gotama : l’honorable Gotama est capable de m’indiquer la méthode qui me permettra de connaître le Bien-être et de voir le Dénouement.

—Reprenons, Mâgandiya, l’exemple de l’aveugle de naissance qui ne voit pas le noir, le blanc ni le jaune, le rouge ni le cramoisi, l’uni ni le bariolé, qui ne voit pas les étoiles, la lune ni le soleil. Ses amis, relations, connaissance ou parents lui trouvent un chirurgien, ce chirurgien lui prescrit un traitement, mais ce traitement ne lui rend pas la vue, ne régénère pas ses yeux. Qu’en penses-tu, Mâgandiya ? Ne va-t-il pas en résulter fatigue et ennuis pour le chirurgien ?

—Certes si, honorable Gotama.

—De même, Mâgandiya, si je t’indiquais la méthode ainsi—“ceci est le Bien-être, cela le Dénouement"—, tu ne serais pas capable de connaître le Bien-être et de voir le Dénouement, et il en résulterait pour moi fatigue et ennuis.

—J’ai confiance en l’honorable Gotama : l’honorable Gotama est capable de m’indiquer la méthode qui me permettra de connaître le Bien-être et de voir le Dénouement.

—Prenons toujours, Mâgandiya, l’exemple de l’aveugle de naissance qui ne voit pas le noir, le blanc ni le jaune, le rouge ni le cramoisi, l’uni ni le bariolé, qui ne voit pas les étoiles, la lune ni le soleil. Il entend dire par quelqu’un qui a des yeux “il est bon d’avoir un vêtement blanc, bien coupé, immaculé, propre”, et il se met en quête d’un vêtement blanc. Mais un autre homme le dupe avec un manteau écru, taché et noirci : “Hé, brave homme, voilà pour toi un vêtement blanc, bien coupé, immaculé, propre”. L’aveugle prend ce vêtement, le met et l’exhibe. Alors ses amis, relations, connaissance ou parents lui trouvent un chirurgien, ce chirurgien lui prescrit un traitement : émétique, purgatif, collyre, onguent, traitement nasal. Et ce traitement lui rend la vue et régénère ses yeux. Le recouvrement de la vue élimine tout désir-attachement pour le manteau écru, taché et sali, et fait apparaître le trompeur comme un ennemi nuisible. L’ex-aveugle pourrait même lui retirer la vie en pensant que pendant longtemps il l’a trompé, abusé, berné avec ce manteau écru, taché et sali, en disant : “Hé, brave homme, voilà pour toi un vêtement blanc, bien coupé, immaculé, propre”.

« De même, Mâgandiya, si je t’indique la méthode ainsi “ceci est le Bien-être, cela le Dénouement”, tu pourras connaître le Bien-être et voir le Dénouement. Et l’acquisition de l’oeil de la sagacité éliminera tout désir-attachement pour les cinq ensembles saisis. Tu pourras penser : “Pendant longtemps j’ai été trompé, berné, abusé par cet état d’esprit, car en m’attachant à l’apparence physique j’étais attaché, en m’attachant au type de ressenti j’étais attaché, en m’attachant à la perception j’étais attaché, en m’attachant aux composants mentaux j’étais attaché, en m’attachant à l’état de conscience j’étais attaché. À cause de l’attachement, l’existence. A cause de l’existence, la naissance. A cause de la naissance, le vieillissement et la mort, le chagrin, les lamentations, la douleur, l’insatisfaction et le désespoir. Telle est l’origine de toute cette masse de malheur.

—J’ai maintenant confiance en l’honorable Gotama : l’honorable Gotama est capable de m’indiquer la méthode de telle façon que je ne sois plus aveugle lorsque je me lèverai de ce siège.

—Alors, Mâgandiya, il te faut t’associer aux Grands Hommes. Si tu t’associes aux Grands Hommes, tu entendras le vrai dhamma. Si tu entends le vrai dhamma, tu suivras la voie conforme au dhamma. Et si tu suis la voie conforme au dhamma, tu connaîtras par toi-même, tu verras par toi-même : “Voici les maladies, les abcès, les épines. Ici les maladies, les abcès, les épines sont détruits sans reste. Par la cessation de l’attachement, la cessation de l’existence. Par la cessation de l’existence, la cessation de la naissance. Par la cessation de la naissance, la cessation du vieillissement et de la mort, du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir. Ainsi est détruite toute cette masse de malheur”.

Ainsi parla-t-il, et Mâgandiya dit au Seigneur :

—C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est comme si on redressait ce qui était tordu, on révélait ce qui était caché, on montrait le chemin à l’égaré, on apportait une lampe dans les ténèbres pour que ceux qui ont des yeux voient. Ainsi l’honorable Gotama a-t-il montré la voie de différentes manières.

« Je cherche refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Sangha monastique. Puissè-je être admis en présence du Seigneur, puissè-je être ordonné.

—Celui qui vient d’une autre école, Mâgandiya, qui demande à être admis dans ce et à recevoir l’ordination, doit faire quatre mois de probation. Au bout de ces quatre mois, s’ils en décident ainsi, les moines le font entrer et l’ordonnent moine. Et là aussi les différences entre les individus me sont connues.

—Si ceux qui viennent d’une autre école, Seigneur, qui demandent à être admis dans ce et à recevoir l’ordination, doivent faire quatre mois de probation, et si au bout des quatre mois les moines, s’ils en décident ainsi, les font entrer et les ordonnent moines, je ferai, moi, quatre ans. Si au bout des quatre ans les moines en décident ainsi, ils me feront entrer et m’ordonneront moine.

Le renonçant Mâgandiya reçut l’admission en présence du Seigneur, il reçut l’ordination.

Fraîchement ordonné, le vénérable Mâgandiya resta solitaire, retiré, vigilant, énergique et résolu. Il ne lui fallut pas longtemps pour voir de ses propres yeux, par connaissance directe, dans la réalité présente, cet Aboutissement insurpassable de la vie sainte pour lequel les fils de bonne famille passent à juste titre du foyer au sans-foyer, il y accéda, il y demeura. Il reconnut “détruite est la naissance, achevée la vie sainte, fait ce qui était à faire et rien de plus ici-bas”. Le vénérable Mâgandiya devint l’un des Accomplis.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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