MN 74
Dīghanakha Sutta
— Le récit de Dîghanakha —

Le Bouddha répond à un sceptique et lui enseigne la voie de la libération au moyen de la contemplation des ressentis.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait près de Râjagaha au Pic des vautours, dans la Grotte du sanglier.

Or Dîghanakha le renonçant vint auprès du Seigneur. En arrivant il échangea des paroles courtoises avec le Seigneur puis conclut leurs salutations aimables et mémorables en restant convenablement debout.

Ainsi debout, Dîghanakha dit au Seigneur :

—Moi, honorable Gotama, je professe et je crois que tout me déplaît.

—Mais cette idée que tout te déplaît, Aggivessana, ne te plaît-elle pas ?

—Si cette idée devait me plaire, honorable Gotama, il devrait en être de même pour ceci, il devrait en être de même pour cela …

—Dans le monde, Aggivessana, ceux qui disent “il devrait en être de même pour ceci, il devrait en être de même pour cela” n’abandonnent généralement pas leur première croyance tout en s’attachant à une autre. Seuls quelques-uns abandonnent leur première croyance sans s’attacher à une autre.

Il y a, Aggivessana, des ascètes et des brahmanes qui professent et qui croient “tout me plaît”. D’autres professent et croient “rien ne me plaît”, et d’autres encore professent et croient “une partie me plaît mais une autre me déplaît”.

La croyance des ascètes et des brahmanes qui professent et qui croient que tout leur plaît s’apparente à un attachement passionné, à un enchantement, à un enchaînement, à un esclavage. Et la croyance des ascètes et des brahmanes qui professent et qui croient que rien ne leur plaît s’apparente à un non-attachement, à un non-enchantement, à un non-enchaînement, à un non-esclavage.

Quand le Seigneur eut dit cela, Dîghanakha s’écria :

—L’honorable Gotama approuve ma prise de position et en fait l’éloge.

—Quant aux ascètes et aux brahmanes, Aggivessana, qui professent et qui croient qu’une partie leur plaît et qu’une autre leur déplaît, la croyance relative à la partie qui leur plaît s’apparente à un attachement passionné, à un enchantement, à un enchaînement, à un esclavage, et la croyance relative à la partie qui leur déplaît s’apparente à un non-attachement, à un non-enchantement, à un non-enchaînement, à un non-esclavage.

« Il y a donc, Aggivessana, ces ascètes et ces brahmanes qui professent et qui croient “tout me plaît”. Là un homme intelligent réfléchit : “J’ai cette croyance que tout me plaît. Mais si j’adhère solidement de cette croyance et que je décide obstinément qu’elle seule est vraie et que tout le reste est erroné, je vais me trouver en désaccord avec les ascètes et les brahmanes qui professent et qui croient que tout leur déplaît, et avec ceux qui professent et qui croient qu’une partie leur plaît et qu’une autre leur déplaît. Je vais me trouver en désaccord avec eux. Un tel désaccord peut amener une dispute, la dispute un premier coup, et ce coup une bagarre”. L’homme intelligent contemple la possibilité de désaccords, de disputes, de coups et de bagarre, il abandonne cette croyance sans pour autant s’attacher à une autre. Voilà comment on abandonne les croyances, comment on les rejette.

Il y a aussi, Aggivessana, les ascètes et les brahmanes qui professent et qui croient que tout leur déplaît. Là un homme intelligent réfléchit qu’il a la croyance que rien ne lui plaît. S’il y adhère… …et il abandonne cette croyance sans s’attacher à une autre…

Il y a aussi, Aggivessana, les ascètes et les brahmanes qui professent et qui croient qu’une partie leur plaît et qu’une autre leur déplaît. Là aussi un homme intelligent réfléchit qu’il a la croyance qu’une partie lui plaît mais que l’autre lui déplaît. S’il y adhère… …et il abandonne cette croyance sans s’attacher à une autre…

« Le corps avec sa forme, Aggivessana, est fait des quatre grands éléments, produit par une mère et un père, nourri de riz et de lait caillé. Comme sa nature est d’être temporaire, parfumé, massé, puis détruit et dispersé, il faut le considérer comme temporaire, misérable, semblable à une maladie, à un abcès, à une épine, et aussi comme fautif, gênant, étranger, vide et dépourvu d’autonomie. Si l’on contemple le corps ainsi, l’attirance, l’attachement et la soumission au corps s’éliminent.

« Il y a trois types de ressenti, Aggivessana, le ressenti agréable, le ressenti désagréable et le ressenti neutre.

Au moment où l’on éprouve un ressenti désagréable, on n’éprouve ni ressenti agréable ni ressenti neutre, on n’éprouve que le ressenti désagréable. Au moment où l’on éprouve un ressenti agréable, on n’éprouve ni ressenti désagréable ni ressenti neutre, on n’éprouve que le ressenti agréable. Au moment où l’on éprouve un ressenti neutre, on n’éprouve ni ressenti désagréable ni ressenti agréable, on n’éprouve que le ressenti neutre. Et les trois ressentis, Aggivessana, sont temporaires, conditionnés, produits sous condition, sujets à destruction, à disparition, à effacement, à cessation.

Un disciple pur et instruit, Aggivessana, qui les contemple de cette façon, est désenchanté du ressenti désagréable, du ressenti agréable et du ressenti neutre. Etant désenchanté, il se détache. Etant détaché, il se libère, et dans la délivrance vient la connaissance “délivré”. Il sait en profondeur que la naissance est détruite, la vie sainte achevée, fait ce qui était à faire et rien de plus ici-bas. Et ce moine dont l’esprit est libéré n’approuve personne, ne désapprouve personne, et continue cependant à s’exprimer avec les mots du monde sans s’y attacher. »

Pendant ce temps le vénérable Sâriputta était debout derrière le Maître et l’éventait. Le vénérable Sâriputta pensa : “On dirait bien que c’est par expérience directe de toutes ces choses que le Seigneur nous dit de les abandonner, on dirait bien que c’est par expérience directe de toutes ces choses qu’il nous dit de les rejeter. Comme le vénérable Sâriputta pensait ceci, son esprit fut libéré de toute contamination, sans plus aucune dépendance.

Et pour Dîghanakha le renonçant apparut l’œil du dhamma sans poussière et sans tache : “Tout ce qui a un début a aussi une fin”. Alors Dîghanakha, ayant vu la réalité, atteint la réalité, connu la réalité, pénétré la réalité, traversé le doute, étant sans interrogation, et assuré dans l’enseignement du Maître sans l’aide d’autrui, s’écria :

—C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est comme si on redressait ce qui était tordu, on révélait ce qui était caché, on montrait le chemin à l’égaré, on apportait une lampe dans les ténèbres pour que ceux qui ont des yeux voient. Ainsi l’honorable Gotama a-t-il indiqué la méthode de différentes manières. Je cherche refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Sangha monastique. Que l’honorable Gotama me considère dès à présent comme un fidèle qui gardera le refuge tant qu’il lui restera un souffle de vie.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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