MN 56
Upāli Sutta
— Le récit d’Oupâli —

Oupali, un maître de maison adepte des jains, va rencontrer le Bouddha pour réfuter sa doctrine, mais son trouve finalement converti par sa 'magie'.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Nâlandâ, dans la mangueraie de Pâvârika. A cette époque Nâtaputta le sans-lien séjournait aussi près de Nâlandâ avec une nombreuse compagnie de sans-lien.

Or Tapassi le Long, un sans-lien, avait mendié dans Nâlandâ et revenait de sa tournée d’aumône après son repas. Il se rendit auprès du Seigneur dans la mangueraie de Pâvârika. Il salua le Seigneur en arrivant—ils échangèrent des paroles courtoises et cordiales—et il resta convenablement debout.

Le Seigneur dit à Tapassi qui restait debout :

—Il y a des sièges, Tapassi, assieds-toi si tu le désires.

Alors Tapassi prit un siège bas et s’assit convenablement. Quand il fut bien assis, le Seigneur lui demanda :

—Combiens d’actions, Tapassi, Nâtaputta le sans-lien distingue-t-il quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ?

—Il n’est pas, ami Gotama, dans l’usage de Nâtaputta de parler d’action, il dit habituellement bâton.

—Donc, Tapassi, combien de bâtons Nâtaputta distingue-t-il quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ?

—Nâtaputta distingue trois bâtons pour l’exécution d’une mauvaise action et son accomplissement, le bâton physique, le bâton verbal et le bâton mental.

—Et, Tapassi, le bâton physique, le bâton verbal et le bâton mental sont-ils distincts ?

—Oui, ami Gotama, le bâton physique, le bâton verbal et le bâton mental sont distincts.

—Lequel, Tapassi, de ces trois bâtons distincts et différenciés est considéré par Nâtaputta comme le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ? Le bâton physique, le bâton verbal ou le bâton mental ?

—C’est le bâton physique, ami Gotama, que Nâtaputta indique comme le plus condamnable dans une mauvaise action, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

—Tu dis le bâton physique, Tapassi ?

—Oui, je dis le bâton physique, ami Gotama.

—Tu dis le bâton physique, Tapassi ?

—Oui, je dis le bâton physique, ami Gotama.

—Tu dis le bâton physique, Tapassi ?

—Oui, je dis le bâton physique, ami Gotama.

Le Seigneur fit confirmer trois fois cette affirmation par Tapassi le Long, le sans-lien.

Puis Tapassi demanda au Seigneur :

—Mais toi, ami Gotama, combien de bâtons distingues-tu quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ?

—Il n’est pas, Tapassi, dans l’usage du Tathâgata de parler de bâton, il dit habituellement action.

—Donc, ami Gotama, combien d’actions distingues-tu quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ?

—Je distingue trois actions, Tapassi, pour l’exécution d’une mauvaise action et son accomplissement, l’action physique, l’action verbale et l’action mentale.

—Et, ami Gotama, l’action physique, l’action verbale et l’action mentale sont-elles distinctes ?

—Oui, Tapassi, elles sont distinctes.

—Laquelle, ami Gotama, de ces trois actions distinctes et différenciées considères-tu comme la plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ? L’action physique, l’action verbale ou l’action mentale ?

—C’est l’action mentale, Tapassi, que j’indique comme la plus condamnable dans une mauvaise action, beaucoup plus que l’action verbale ou l’action mentale.

—Tu dis l’action mentale, ami Gotama ?

—Oui, je dis l’action mentale, Tapassi.

—Tu dis l’action mentale, ami Gotama ?

—Oui, je dis l’action mentale, Tapassi.

—Tu dis l’action mentale, ami Gotama ?

—Oui, je dis l’action mentale, Tapassi.

Tapassi fit confirmer trois fois cette affirmation par le Seigneur. Puis il se leva de son siège et retourna auprès de Nâtaputta le sans-lien.

A ce moment Nâtaputta était assis avec une grande assemblée de laïcs du village de Bâlaka avec Oupâli à leur tête.

Nâtaputta vit approcher Tapassi le Long et lui demanda :

—D’où viens-tu donc, Tapassi, au milieu de la journée ?

—Seigneur, je suis allé voir l’ascète Gotama ?

—Hein ? As-tu eu, Tapassi, une conversation avec l’ascète Gotama ?

—Oui, Seigneur, j’ai eu une discussion avec l’ascète Gotama.

—Comment s’est déroulée, Tapassi, ta discussion avec l’ascète Gotama ?

Tapassi raconta à Nâtaputta toute la conversation qu’il avait eue avec le Seigneur. Quand Tapassi eut fini de parler, Nâtaputta l’approuva :

—Excellent, Tapassi, c’est excellent ! Tapassi le Long a répondu à l’ascète Gotama comme un disciple instruit qui connaît parfaitement l’enseignement de son maître. Car le bâton mental est insignifiant en comparaison du bâton physique qui est si considérable. Le bâton physique est bien le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

Ainsi parla Nâtaputta, et Oupâli le maître de maison renchérit :

—Excellent, Tapassi est excellent ! Il a répondu à l’ascète Gotama comme un disciple instruit qui connaît parfaitement l’enseignement du maître. Le bâton mental est insignifiant en comparaison du bâton physique qui est si considérable. Le bâton physique est bien le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

Je vais, Seigneur, aller débattre avec l’ascète Gotama. Si l’ascète Gotama maintient ce qu’il a soutenu à Tapassi, j’amènerai à moi par ma parole les propositions de l’ascète Gotama, je les ferai virevolter et les secouerai en tous sens de la même façon qu’un homme robuste qui agrippe un bélier à poils longs par la toison, l’attire vers lui, le repousse et le secoue en tous sens ; ou de la même façon qu’un robuste liquoriste qui prend les anses d’un grand panier à liqueur qu’il a plongé dans un profond bassin d’eau, l’attire vers lui, le repousse et le secoue en tous sens. Par ma parole je renverserai les propositions de l’ascète Gotama dans un sens, dans l’autre et dans tous les sens, de la même façon qu’un alcoolique robuste qui prend son filtre par les anses (pour le nettoyer) le secoue face vers le bas, face vers le haut et en tous sens. Je jouerai à laver le chanvre avec l’ascète Gotama à la manière de l’éléphant de soixante ans qui était descendu dans une profonde mare à lotus et qui y jouait à laver le chanvre. J’y vais, Seigneur, et je prendrai le dessus sur l’ascète Gotama.

—Vas-y, maître de maison, et prends le dessus dans le débat avec l’ascète Gotama. Je peux vaincre moi-même l’ascète Gotama par la parole, Tapassi le peut, et toi aussi tu le peux.

Mais Tapassi le Long dit à Nâtaputta :

—Il ne me semble pas bon, Seigneur, que le maître de maison Oupâli veuille aller vaincre l’ascète Gotama, car l’ascète Gotama est un magicien qui connaît un artifice pour retourner les disciples des autres sectes et les attirer à lui.

Tapassi tint trois fois ce propos à Nâtaputta mais celui-ci (qui n’avait jamais vu l’ascète Gotama bien qu’il séjournât dans la même ville, et qui ne connaissait pas les effets de sa simple présence et de son enseignement) répondit les trois fois :

—Il est impossible, Tapassi, il ne peut pas arriver que le maître de maison Oupâli devienne disciple de l’ascète Gotama. En revanche il peut se trouver que l’ascète Gotama devienne disciple d’Oupâli. Va donc, maître de maison, et prends le dessus sur l’ascète Gotama. Car si je peux vaincre moi-même l’ascète Gotama par la parole, Tapassi le peut aussi, et toi de même.

—Oui, Seigneur, répondit finalement Oupâli à Nâtaputta. Il se leva de son siège, salua Nâtaputta, tourna autour de lui en le gardant à sa droite et se dirigea vers la mangueraie de Pâvârika où se trouvait le Seigneur.

Le maître de maison Oupâli s’approcha du Seigneur, le salua en arrivant et s’assit convenablement. Une fois bien assis, il demanda au Seigneur :

—Est-ce que Tapassi le Long, un sans-lien, est venu ici, Seigneur ?

—Oui, maître de maison, Tapassi est venu ici.

—Avez-vous eu, Seigneur, une conversation avec Tapassi ?

—J’ai bien eu, maître de maison, une conversation avec Tapassi.

—Comment s’est déroulée, Seigneur, cette conversation avec Tapassi ?

Le Seigneur raconta à Oupâli toute la conversation qu’il avait eue avec Tapassi. Quand le Seigneur eut fini de parler, Oupâli lui déclara :

—Excellent, Tapassi est excellent ! Il a répondu à l’ascète Gotama comme un disciple instruit qui connaît parfaitement l’enseignement de son maître. Le bâton mental est insignifiant en comparaison du bâton physique qui est si considérable. Le bâton physique est bien le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

—Si toi, maître de maison, parlait sincèrement, nous pourrions avoir une discussion ici-même.

—Je parlerai sincèrement, Seigneur, ayons cette discussion.

—Que penses-tu de ceci, maître de maison ? S’il y avait ici un sans-lien malade, souffrant, gravement atteint, qui refuse l’eau fraîche et n’accepte que l’eau chaude, et qu’il mourrait à cause du manque d’eau fraîche, quelle renaissance Nâtaputta le sans-lien lui prédirait-il ?

—Il y a, Seigneur, des dieux qu’on appelle “attachés au mental”. C’est là qu’il renaîtrait. Pourquoi ? Parce qu’il est mort alors qu’il était attaché au mental.

—Maître de maison ! Maître de maison ! Fais attention quand tu réponds ! Car ta dernière parole n’est pas cohérente avec la première, ni la première avec la dernière. Or tu as dit : “Je parlerai sincèrement, Seigneur, ayons cette discussion”.

—Quoiqu’en dise le Seigneur, le bâton physique est le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

—Que penses-tu de ceci, maître de maison ? Il pourrait y avoir ici un sans-lien qui se restreigne par le quadruple contrôle, qui s’interdise toute eau fraîche, qui s’attache à tout ce qui empêche le mal, qui se défasse du mal et qui s’imprègne de tout ce qui l’empêche. Mais en allant et venant, il ferait périr beaucoup de petits animaux. Quelle conséquence Nâtaputta indique-t-il pour cela ?

—Nâtaputta indique, Seigneur, que cela n’est pas très condamnable en l’absence d’intention.

—Mais s’il a l’intention (de les tuer) ?

—Dans ce cas, Seigneur, c’est grandement condamnable.

—Et dans quoi Nâtaputta classe-t-il l’intention ?

—Dans le bâton mental, Seigneur.

—Maître de maison ! Maître de maison ! Fais attention quand tu réponds ! Car ta dernière parole n’est pas cohérente avec la première, ni la première avec la dernière. Or tu as dit : “Je parlerai sincèrement, Seigneur, ayons cette discussion”.

—Quoiqu’en dise le Seigneur, le bâton physique est le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

—Que penses-tu de ceci, maître de maison ? Cette ville de Nâlandâ est-elle prospère, opulente, populeuse et riche en hommes ?

—Oui, Seigneur, cette ville de Nâlandâ est prospère, opulente, populeuse et riche en hommes.

—Que penses-tu de ceci, maître de maison ? S’il venait un homme qui brandisse une épée en disant : “Aussi nombreux que soient les êtres vivant à Nâlandâ, en un instant, en une seconde, j’en ferai un seul amas de chair, un seul empilement de chair”, cet homme pourrait-il faire comme il le dit ?

—Même s’ils étaient dix, Seigneur, vingt, trente, quarante ou même cinquante, des hommes ne pourraient pas faire, en un instant, en une seconde, un seul amas de chair, un seul empilement de chair. Quel succès pourrait avoir un pauvre homme isolé ?

—Et maintenant, maître de maison, s’il venait un ascète ou un brahmane, doué de pouvoirs magiques et ayant la maîtrise de son esprit, qui dise : “Je vais réduire cette ville de Nâlandâ en cendres d’une seule pensée de destruction”, cet ascète ou ce brahmane pourrait-il faire ce qu’il dit ?

—Un tel ascète ou un tel brahmane, Seigneur, pourrait réduire en cendres d’une seule pensée de destruction dix, vingt, trente, quarante ou même cinquante Nâlandâ. Que vaut une seule petite Nâlandâ ?

—Maître de maison ! Maître de maison ! Fais attention quand tu réponds ! Car ta dernière parole n’est pas cohérente avec la première, ni la première avec la dernière. Or tu as dit : “Je parlerai sincèrement, Seigneur, ayons cette discussion”.

—Quoiqu’en dise le Seigneur, le bâton physique est le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

—Que penses-tu de ceci, maître de maison ? As-tu entendu dire que les forêts de Dandaka, de Kâlinga, de Mejjha et de Mâtanga étaient devenues des solitudes boisées (après avoir été des régions prospères) ?

—Oui, Seigneur, j’ai entendu dire que les forêts de Daṇḍaka, de Kâliṅga, de Mejjha et de Mâtaṅga étaient devenues des solitudes boisées.

—As-tu entendu dire, maître de maison, pourquoi elles étaient devenues des solitudes boisées ?

—J’ai entendu dire, Seigneur, qu’une seule pensée méchante à l’encontre de sages voyants avait causé leur transformation en solitudes boisées.

—Maître de maison ! Maître de maison ! Fais attention quand tu réponds ! Car ta dernière parole n’est pas cohérente avec la première, ni la première avec la dernière. Or tu as dit : “Je parlerai sincèrement, Seigneur, ayons cette discussion”.

—J’ai été satisfait et enchanté par le Seigneur dès la première image, mais je désirais entendre les différentes réponses que le Seigneur donnerait, aussi ai-je pensé que je devais continuer à m’opposer au Seigneur.

C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est comme si l’honorable Gotama avait redressé ce qui penchait, avait révélé ce qui était caché, avait montré le chemin à l’égaré, et avait apporté une lampe dans l’obscurité pour que ceux qui ont des yeux voient ! C’est ainsi de plusieurs façons que l’honorable Gotama a exposé l’enseignement. Je cherche refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Saṅgha monastique. Que l’honorable Gotama me considère dès à présent comme un fidèle qui gardera le refuge aussi longtemps qu’il lui restera un souffle de vie.

—N’agis qu’après mûre réflexion, maître de maison, il est bon que les célébrités telles que toi agissent en toute connaissance.

—Je suis encore plus satisfait et enchanté par ces paroles du Seigneur. Car une autre secte qui m’aurait gagné comme disciple aurait promené à travers Nâlandâ une banderole disant “le maître de maison Oupâli est devenu notre disciple”. Au lieu de quoi, le Seigneur me dit : “N’agis qu’après mûre réflexion, maître de maison, il est bon que les célébrités telles que toi agissent en toute connaissance”.

Pour la deuxième fois je cherche refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Saṅgha monastique. Que l’honorable Gotama me considère dès à présent comme un fidèle qui gardera le refuge aussi longtemps qu’il lui restera un souffle de vie.

—Pendant longtemps, maître de maison, ta famille a été une source de dons pour les sans-lien, tu dois donc penser à faire encore l’aumône à ceux d’entre eux qui viendront en chercher.

—Je suis encore plus satisfait et enchanté par ces paroles du Seigneur. J’avais entendu dire que l’ascète Gotama parlait ainsi : “Il ne faut donner qu’à moi seul et non aux autres, il ne faut donner qu’à mes seuls disciples et non aux disciples des autres, ce qui m’est donné produit de grands effets mais non ce qui est donné aux autres, ce qui est donné à mes disciples produit de grands fruits mais non ce qui est donné aux disciples des autres”. Et voilà que le Seigneur m’incite à donner aussi aux sans-lien. Nous connaîtrons le juste moment pour le faire.

Pour la troisième fois je cherche refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Saṅgha monastique. Que l’honorable Gotama me considère dès à présent comme un fidèle qui gardera le refuge aussi longtemps qu’il lui restera un souffle de vie.

Ensuite le Seigneur tint au maître de maison un discours progressif, discours sur le don, puis sur la discipline, enfin sur le ciel. Il lui montra aussi les inconvénients des plaisirs sensoriels, leur côté dégradant, souillant, et l’avantage que l’on trouve à y renoncer.

Quand le Seigneur eut reconnu que l’esprit d’Oupâli était prêt, souple, débarrassé des obstacles, aiguisé et limpide, il lui dévoila les réalités que louent les Bouddhas : le malheur, son origine, sa cessation et le chemin.

Et de même qu’un tissu propre et dépourvu de taches prend parfaitement la teinture, de même pour Oupâli le maître de maison s’ouvrit, sur ce siège même, l’œil du Dhamma, sans poussière et sans tache : tout ce qui a pour nature de commencer a aussi pour nature de finir.

Oupâli vit ainsi la Réalité, atteignit cette Réalité, connut cette Réalité, plongea dans cette Réalité, traversa le doute et n’eut plus d’interrogations. Il fut assuré dans l’enseignement du maître sans plus avoir à dépendre d’autrui.

Oupâli dit ensuite au Seigneur :

—Allons ! Maintenant nous partons, Seigneur, car nous avons beaucoup d’obligations, beaucoup à faire.

—Si tu penses qu’il en est temps, maître de maison.

Le maître de maison Oupâli était satisfait des paroles du Seigneur. Il s’en réjouit, se leva, rendit hommage au Seigneur, tourna autour de lui en le gardant à sa droite, puis il rentra à son logis.

Quand il fut arrivé chez lui, Oupâli appela son portier :

—A partir d’aujourd’hui, bon portier, je ferme ma porte aux sans-lien, hommes et femmes, mais je la laisse ouverte pour le Seigneur, ses moines, ses nonnes et ses fidèles, hommes et femmes. S’il vient un sans-lien, dis-lui : “Attends, Seigneur, n’entre pas. Le maître de maison Oupâli est désormais disciple de l’ascète Gotama. Sa porte est fermée aux sans-lien, hommes et femmes, mais elle est ouverte pour le Seigneur, ses moines, ses nonnes et ses fidèles, hommes et femmes. Si tu as besoin d’une aumône, attends ici et on te l’apportera”.

—Bien, maître, répondit le portier.

Or Tapassi le Long entendit dire qu’Oupâli était devenu disciple de l’ascète Gotama. Il se rendit auprès de Nâtaputta et lui dit par trois fois :

—J’ai entendu dire, Seigneur, qu’Oupâli était devenu disciple de l’ascète Gotama.

Mais à chaque fois Nâtaputta déclara :

—Il est impossible, Tapassi, il ne peut pas arriver qu’Oupâli soit devenu disciple de l’ascète Gotama. En revanche il peut se trouver que l’ascète Gotama soit devenu disciple d’Oupâli.

Après la troisième fois, Tapassi déclara :

—Je pars, Seigneur, pour savoir si Oupâli est vraiment devenu disciple de l’ascète Gotama.

—Va, Tapassi, et découvre-le.

Tapassi le Long se rendit à la maison d’Oupâli. Le portier le vit approcher et lui dit :

—Attends, Seigneur, n’entre pas. Le maître de maison Oupâli est désormais disciple de l’ascète Gotama. Sa porte est fermée aux sans-lien, hommes et femmes, mais elle est ouverte pour le Seigneur, ses moines, ses nonnes et ses fidèles, hommes et femmes. Si tu as besoin d’une aumône, attends ici et on te l’apportera.

—Je n’ai pas besoin d’aumône, dit-il. Et il revint auprès de Nâtaputta.

Là, il dit trois fois à Nâtaputta :

—Il est tout à fait vrai, Seigneur, qu’Oupâli est devenu disciple de l’ascète Gotama. Je n’ai pas eu gain de cause quand je t’ai dit : “Il ne me semble pas bon que le maître de maison Oupâli veuille aller vaincre l’ascète Gotama, car l’ascète Gotama est un magicien qui connaît un artifice pour retourner les disciples des autres sectes et les attirer à lui”. Et maintenant voilà qu’Oupâli a été détourné de toi par l’ascète Gotama grâce à cet artifice.

Et Nâtaputta rétorqua trois fois :

—Il est impossible, Tapassi, il ne peut pas arriver qu’Oupâli soit devenu disciple de l’ascète Gotama. en revanche il peut se trouver que l’ascète Gotama soit devenu disciple d’Oupâli.

A la troisième fois, il ajouta :

—Je m’en vais voir par moi-même si Oupâli est devenu disciple de l’ascète Gotama ou non.

Nâtaputta le sans-lien se rendit donc avec une grande troupe de sans-lien à la demeure d’Oupâli. Le portier le vit approcher et lui dit :

—Attends, Seigneur, n’entre pas. Le maître de maison Oupâli est désormais disciple de l’ascète Gotama. Sa porte est fermée aux sans-lien, hommes et femmes, mais elle est ouverte pour le Seigneur, ses moines, ses nonnes et ses fidèles, hommes et femmes. Si tu as besoin d’une aumône, attends ici et on te l’apportera.

—En ce cas, bon portier, va trouver Oupâli et dis-lui que Nâtaputta l’attend à la porte extérieure avec une grande troupe de sans-lien et qu’il veut le voir.

—Bien, Seigneur, répondit le portier, qui alla rapporter ces paroles à Oupâli. Celui-ci lui répondit :

—Fais dresser, bon portier, des sièges dans le hall de la porte intermédiaire.

—Bien, maître, répondit le portier. Il fit préparer des sièges dans le hall de la porte intermédiaire puis revint dire à Oupâli :

—Les sièges sont prêts, maître, pour que tu t’en serves comme tu le jugeras bon.

Oupâli alla dans le hall de la porte intermédiaire et s’y assit à la place d’honneur, la meilleure, la plus élevée, la plus confortable. Puis il fit signe au portier :

—Maintenant, bon portier, va trouver Nâtaputta et dis-lui : “Oupâli te fait dire d’entrer, Seigneur, si tu le souhaites”.

Le portier transmit l’invitation à Nâtaputta et celui-ci alla jusqu’à la salle de la porte intermédiaire avec tous les sans-lien. Oupâli était déjà là. Il se leva comme pour aller à sa rencontre, mais essuya le siège d’honneur, le ceignit de sa cape et s’aida à s’asseoir. Une fois bien assis, il dit à Nâtaputta :

—Il y a des sièges, Seigneur, assieds-toi si tu le souhaites.

Ainsi parla-t-il mais Nâtaputta l’apostropha :

—Tu es insensé, maître de maison ! Tu es stupide, maître de maison ! Tu es parti en disant que tu prendrais le dessus sur l’ascète Gotama et tu es revenu empêtré dans un flot de belles paroles ! Tu es comme un castreur parti castrer qui reviendrait avec les testicules arrachées, ou comme un extracteur d’œil parti extraire qui reviendrait avec les yeux arrachés. De même, tu es parti en disant “je prendrai le dessus sur l’ascète Gotama” et tu es revenu empêtré dans un flot de bonnes paroles. Gotama t’a bien retourné, maître de maison, grâce à son artifice de retournement !

—Excellent, Seigneur, est cet artifice de retournement ! Bénéfique est cet artifice ! Je souhaite que mes chers amis et parents soient retournés de la même façon, ce leur sera bénéfice et bonheur pour longtemps.

Si de plus tous les nobles, tous les brahmanes, tous les artisans et tous les serviteurs pouvaient être retournés de la même façon, cela leur serait à tous bénéfice et bonheur pour longtemps. Si en outre tout l’univers avec ses dieux, ses Mâras, ses Brahmas, et tout ce monde avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, pouvaient être retournés de cette façon, cela leur serait à tous bénéfice et bonheur pour longtemps.

« Je vais te proposer une comparaison, Seigneur, car certains hommes sages comprennent ainsi le sens des paroles.

Il y avait autrefois, Seigneur, un vieux brahmane, chargé d’années et vénérable, dont la toute jeune épouse était enceinte et sur le point d’accoucher. Or cette jeunesse dit par trois fois :

—Va, brahmane, acheter un petit singe dans une boutique et apporte-le moi, il sera un compagnon de jeu pour mon fils.

Le brahmane répondit par deux fois :

—Attends jusqu’à l’accouchement, chère épouse. Si tu accouches d’un fils, je lui achèterai un petit singe dans une boutique et je l’apporterai comme compagnon de jeu pour ton fils. Mais si tu accouches d’une fille, je lui achèterai une petite guenon.

Mais le brahmane était épris de sa jeune femme et très attaché. La troisième fois, il acheta un petit singe dans une boutique et le lui apporta :

—Voici le petit singe, chère épouse, que je t’ai acheté et apporté afin qu’il soit un compagnon de jeu pour ton fils.

Ainsi parla-t-il, Seigneur, et la jeune femme dit au brahmane :

—Va maintenant, brahmane, chez Mains-pourpres le fils du teinturier avec ce petit singe et dis-lui : “Je désire, bon Mains-pourpres, que ce petit singe soit teint de la couleur appelée enduit-doré et qu’il soit écrasé soigneusement et lissé d’un côté et de l’autre”.

Alors, Seigneur, le brahmane, parce qu’il était amoureux et attaché à sa jeune épouse, prit le petit singe, alla chez Mains-pourpres et lui dit :

—Je désire, bon Mains-pourpres, que ce petit singe soit teint de la couleur appelée enduit-doré et qu’il soit écrasé soigneusement et lissé d’un côté et de l’autre.

Mais Mains-pourpres répondit :

—Ce petit singe pourrait supporter la teinture mais non l’écrasement ni le lissage.

De même, Seigneur, la parole des sans-lien stupides prend la teinte de la sottise et non celle de la sagesse, elle ne supporte pas un examen serré ni la recherche des imperfections.

« Une autre fois, Seigneur, le brahmane prit un jeu de vêtements neufs, les porta chez Mains-pourpres le fils du teinturier et lui dit :

—Je désire, bon Mains-pourpres, que ce jeu de vêtements neufs soit teint de la couleur appelée enduit-doré et qu’il soit écrasé soigneusement et lissé d’un côté et de l’autre.

Et Mains-pourpres lui répondit :

—Ce jeu de vêtements neufs peut prendre la teinture et supporter le repassage et le lissage.

De même, Seigneur, la parole du Seigneur accompli et parfait Bouddha prend la teinte de la sagesse et non celle de la sottise, elle supporte un examen serré et la recherche des imperfections.

—Cette assemblée, maître de maison, et ses chefs croient qu’Oupâli est disciple de Nâtaputta le sans-lien. De qui devons-nous comprendre qu’il est le disciple ?

Ainsi parla-t-il, et Oupâli le maître de maison se leva de son siège, ajusta son vêtement de dessus sur son épaule, salua dans la direction où se trouvait le Seigneur et dit à Nâtaputta :

—Ecoute, Seigneur, de qui je suis le disciple.

Ce Sage a dissipé toutes les confusions

Brisé l’aridité et vaincu les Mâras

Sans souffrance aucune et toujours impartial

Discipliné en tout, profondément sagace

Il a tué les passions et reste immaculé

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

Satisfait sans avoir à poser de questions

Joyeux d’avoir vomi la grossièreté du monde

Cet humain a poussé l’ascèse jusqu’au bout

Héros drapé dans sa dernière enveloppe

Devenu sans égal, dépourvu de souillures

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

Expert qui a chassé tous les doutes

Il sait éduquer et guider parfaitement

Resplendissant de sa nature suprême

Rayonnant dans son absence de désir

Il coupe énergiquement toute estime de soi

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

Il a la force immense du plus grand des taureaux

Avec la profondeur silencieuse du sage

Savant et protecteur

Stable dans le Dhamma et toujours contrôlé

Il est libre de tout lien

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

C’est au loin qu’il demeure comme un grand éléphant

Libéré de ses chaînes qui gisent fracassées

Il conseille à chacun d’ébranler ses défauts

Drapeau d’orgueil amené et passions envolées

Il s’est bien maîtrisé, ne se disperse pas

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

Lui le septième Voyant ne nous trompe jamais

Il a la triple science, ce qu’on trouve de meilleur

Lavé de tout défaut autant que grand poète

Tout à fait apaisé et lucide sur tout

Il donne le Dhamma et il est tout-puissant

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

Immaculé, parfait en toutes ses vertus

Il explique, il détaille

Avec sa vigilance il est supravoyant

Sans inclinations, répulsions ni émotions

Il possède en tout la maîtrise

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

Il a suivi le bon chemin, maîtrise l’absorption

Garde sa pureté sans que rien ne l’affecte

Il ne s’attache ni ne rejette

A gravi jusqu’en haut la cime isolée

Traversé l’inondation et la fait traverser

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

Paisible, immensément sagace

D’une sagacité dépourvue d’attirance

Il est Tathâgata, Sugata, Bien-venu

Sans égal ni rival

Plein de maturité et de subtile intelligence

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.

Il est Bouddha—racine du désir coupée

Fumées dissipées, souillures effacées

Ce génie merveilleux mérite les offrandes

Il est l’Homme suprême qu’on ne peut évaluer

Géant au sommet de sa gloire

Voilà de quel Seigneur moi je suis le disciple.



—Quand donc, maître de maison, as-tu composé ces louanges à l’ascète Gotama ?

—S’il dispose d’un grand monceau de fleurs variées, Seigneur, un fleuriste chevronné, ou son apprenti, peut tresser une guirlande multicolore. De même, le Seigneur a des vertus par centaines ; qui ne célébrerait les louanges de celui qui les mérite ?

Nâtaputta le sans-lien ne put supporter l’éloge du Seigneur, du sang chaud lui sortit de la bouche.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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