MN 53
Sekha Sutta
— Le récit de celui qui est en entraînement —

Le vénérable Ananda fait un discours au sujet des pratiques de celui qui est en entraînement.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait chez les Sakyas, dans le parc Nigrodha qui est proche de Kapilavatthu.

À ce moment les Sakyas de Kapilavatthu venaient juste de bâtir une nouvelle salle de réunion qui n’avait encore été fréquentée par aucun ascète, aucun brahmane, ni par quelque être humain que ce soit.

Les Sakyas de Kapilavatthu allèrent trouver le Seigneur, ils le saluèrent en arrivant et s’assirent convenablement. Une fois bien assis, ils dirent au Seigneur :

—Voilà, Seigneur, que les Sakyas de Kapilavatthu viennent juste de bâtir une nouvelle salle de réunion qu’aucun ascète, aucun brahmane et aucun être humain n’ont encore utilisé. Que le Seigneur l’étrenne. Après quoi les Sakyas s’en serviront, cela leur vaudra bonheur et bienfaits pour longtemps.

Le Seigneur accepta en gardant le silence. Les Sakyas comprirent l’acceptation, se levèrent de leur siège, saluèrent le Seigneur, en firent le tour en le gardant à leur droite (en signe de respect) et se rendirent à la salle de réunion.

Ils recouvrirent la salle dans son entier (ils la nettoyèrent, y étalèrent de la bouse de vache humide pour la purifier, y répandirent des parfums, y étalèrent des nattes et posèrent par dessus des peaux variées, d’éléphant, de cheval, de tigre, d’antilope, etc.). Ils préparèrent des sièges, apportèrent une grosse jarre (remplie d’une eau cristalline et parfumée pour que chacun puisse se laver les mains, le visage ou les pieds) et hissèrent une lampe à huile.

Puis ils revinrent vers le Seigneur, le saluèrent en arrivant et se tinrent convenablement debout. Ainsi debout, les Sakyas dirent au Seigneur :

—La salle de réunion est entièrement aménagée, Seigneur, des sièges ont été préparés, une grande jarre à eau apportée et une lampe à huile dressée. Si le Seigneur estime que l’heure est venue…

Alors le Seigneur se vêtit, prit son bol et sa robe, et se rendit avec la communauté des moines à la salle de réunion. Il se lava les pieds, entra dans la salle et s’assit contre le pilier central, face à l’est.

La communauté des moines aussi se lava les pieds, entra dans la salle et s’assit contre le mur de l’ouest en laissant le Seigneur seul devant. Enfin les Sakyas de Kapilavatthu se lavèrent les pieds, entrèrent dans la salle et s’assirent contre le mur de l’est, face à l’ouest, avec le Seigneur en face d’eux.

Pendant une grande partie de la nuit, le Seigneur instruisit les Sakyas par un discours du dhamma, il les stimula, les incita et les enthousiasma (il fit en particulier l’éloge de leur hospitalité et des bienfaits qui résultent de ce type de don).

Puis il s’adressa au vénérable Ânanda :

—Que la Voie de celui qui s’exercete revienne clairement (en mémoire) au profit des Sakyas de Kapilavatthu. Mon dos fatigue, je vais le détendre.

—Bien, Seigneur, répondit le vénérable Ânanda.

Le Seigneur plia sa cape en quatre, s’y étendit dans la position du lion couché sur le flanc droit, le pied (gauche) dépassant le pied (droit), vigilant (sato), pleinement conscient (sampajāno), ayant porté son attention sur la perception du (prochain) réveil.

Le vénérable Ânanda s’adressa au Sakya Mahânâma (probablement le doyen de l’assemblée ; s’adresser à lui revenait à s’adresser à tous) :

—Ici, Mahânâma, le disciple pur est pleinement discipliné, il garde la porte des sens, connaît la juste quantité de nourriture, s’attache à rester éveillé, a sept qualités, et il obtient à volonté les quatre jhânas, ces états supérieurs et agréables dans la réalité présente, il les obtient facilement, sans difficulté.

Et comment, Mahânâma, le disciple pur est-il pleinement discipliné (sīlasampanno) ? Voici : le disciple pur a un comportement discipliné, il reste sous le contrôle du code-libérateur (pātimokkha), a une bonne conduite et de bonnes fréquentations, voit avec crainte les plus petites fautes et s’entraîne aux points de l’exercice dans lesquels il s’est engagé. C’est ainsi que le disciple pur est pleinement discipliné.

Et comment, Mahânâma, le disciple pur garde-t-il la porte des sens (indriyesu guttadvāro) ? Voici : quand le disciple pur voit une apparence avec l’œil… entend un son avec l’oreille… sent une odeur avec le nez… goûte une saveur avec la langue… ressent un toucher avec le corps… ou est conscient d’un connaissable avec la faculté cognitive, il n’en saisit pas le signe principal ni les détails révélateurs qui pourraient faire que la convoitise, l’insatisfaction ou d’autres agents mauvais et pernicieux l’envahissent si la faculté de voir… la faculté d’entendre… la faculté de sentir… la faculté de goûter… la faculté de toucher… ou la faculté de connaître restaient incontrôlées. Il s’engage dans ce contrôle, protège ses facultés et se consacre à leur défense. Voilà comment le disciple pur garde la porte des sens.

Et comment, Mahânâma, le disciple pur connaît-il la juste quantité de nourriture (bhojane mataññū) ? Voici : avec discernement (paṭisaṅkhā yoniso), le disciple pur mange la nourriture, non pour s’amuser ni pour accroître ses forces ni pour embellir (en éliminant la maigreur) ni pour éblouir (par sa beauté), mais seulement pour entretenir le corps et le soutenir, pour stopper l’agression (de la faim) et persévérer dans la vie sainte : “Ainsi éliminerai-je l’ancien ressenti (la faim), empêcherai-je un nouveau ressenti (l’indigestion), et mon mode de vie sera exempt de reproches et confortable”. Voilà comment le disciple pur connaît la juste quantité de nourriture.

Et comment, Mahânâma, le disciple pur s’attache-t-il à rester éveillé ? Comme ceci : le jour, en marchant attentivement ou en position assise, il nettoie son esprit des facteurs qui font obstacle. Pendant la première veille de la nuit, en marchant attentivement ou en position assise, il nettoie son esprit des facteurs qui font obstacle. Pendant la veille médiane, il prend la position du lion couché sur le flanc droit, un pied dépassant l’autre, vigilant, pleinement conscient, ayant porté son attention sur la perception de réveil. Et pendant la dernière veille, en marchant attentivement ou en position assise, le disciple pur nettoie son esprit des facteurs qui font obstacle. Voilà comment le disciple pur s’attache à rester éveillé.

Et comment, Mahânâma, le disciple pur a-t-il sept qualités ? Voici : le disciple pur a de la confiance, il est convaincu de l’Éveil (bodhi) du Tathâgata : “Le Seigneur (bhagavā) est Accompli (arahaṁ), parfait Bouddha (sammāsambuddho), doué de sapience et de bonne conduite, Bien-allé (sugato), Connaisseur du monde, Suprême, Cocher des mâles à dresser, Maître des dieux et des hommes, Bouddha, Seigneur”.

Il a de la retenue (hirī) : (par autodiscipline) il s’interdit de mal agir physiquement, verbalement et mentalement, et il se retient de s’adonner aux mauvais facteurs pernicieux (akusala, qui s’opposent à la progression sur la voie).

Il a du respect humain (ottappa) : (par crainte des reproches) il s’interdit de mal agir physiquement, verbalement et mentalement, et il se retient de s’adonner aux mauvais facteurs pernicieux.

Il a beaucoup entendu, retenu et engrangé : il a beaucoup entendu les enseignements bons au début, bons au milieu, bons à la fin, qui expliquent, avec le fond et la forme, la vie sainte complète, parfaite et pure. Il les retient, les récite à voix haute et en examine le sens qu’il pénètre par sa vision.

Il agit avec vigueur (viriya) pour éliminer les facteurs pernicieux et acquérir les facteurs bénéfiques (kusala), il persévère, agit fermement, et ne faiblit pas dans la mise en œuvre des facteurs bénéfiques.

Il a de la vigilance (sati) : il est doué d’une extrême attention-perspicacité (satinepakka), et ce qui a été fait et dit il y a longtemps (par lui ou par d’autres), il s’en souvient, il se le rappelle encore.

Il a de la sagacité (paññā) : il est doué de la sagacité qui mène à (la connaissance de) l’apparition-disparition. Voilà comment le disciple pur a sept qualités.

Et comment, Mahânâma, le disciple pur obtient-il à volonté les quatre jhânas (niveaux d’absorption contemplative), ces états supérieurs et agréables dans la réalité présente, comment les obtient-il facilement, sans difficulté ? Voici : c’est seulement en s’isolant du sensoriel, en s’isolant des agents pernicieux, qu’il accède au premier jhâna—lequel comporte prise-ferme (vitakka) et application-soutenue (vicāra) et consiste en un ravissement-félicité (pītisukha) né de l’isolement—, et qu’il y demeure. Par la disparition de la prise-ferme et de l’application-soutenue, il accède au deuxième jhâna… au troisième jhâna… au quatrième jhâna et il y demeure. Voilà comment le disciple pur obtient à volonté les quatre jhânas.

Et quand le disciple pur est ainsi pleinement discipliné, qu’il garde la porte de ses sens, connaît la juste quantité de nourriture, s’attache à rester éveillé, a les sept qualités et obtient à volonté les quatre jhânas, alors, Mahânâma, ce disciple pur est dit suivre la voie de celui qui s’exerce, avoir atteint l’état d’œuf sain, être apte à la pleine Réalisation (sambodhi = ariyamagga), apte à parvenir à l’ultime Abri contre les liens (qui attachent au monde) (yogakkhema = arahatta).

Imagine, Mahânâma, qu’il y ait huit ou dix ou douze œufs et que la poule les couve bien, les réchauffe bien et s’en occupe bien. Que cette poule ait ou non le désir que ses poussins puissent briser leur coquille avec leurs griffes ou leur bec et sortir sains et saufs, les poussins sont assurément capables de briser la coquille avec leurs griffes ou leur bec, ils sortent en toute sécurité.

De même, Mahânâma, quand le disciple pur est pleinement discipliné, qu’il garde la porte de ses sens, connaît la juste quantité de nourriture, s’attache à rester éveillé, a les sept qualités et obtient à volonté les quatre jhânas, alors, ce disciple pur est dit suivre la voie de celui qui s’exerce, avoir atteint l’état d’œuf sain, il est apte à la pleine Réalisation, apte à parvenir à l’ultime Abri.

Et le disciple pur, Mahânâma, qui est parvenu à la totale pureté de la neutralité attentive (upekkhāsati) sans égale (grâce au quatrième jhâna), il l’oriente vers la connaissance-remémoration des habitats antérieurs. Il se remémore des habitats antérieurs variés, à savoir une naissance, deux naissances, trois, quatre, cinq, dix, vingt, trente, quarante, cinquante, cent, mille, cent mille naissances, plusieurs ères de destruction, plusieurs ères d’édification, plusieurs ères de destruction et d’édification : “J’eus là tel nom, telle lignée, telle couleur, telle nourriture, je connus tel bonheur et tel malheur, j’eus telle durée de vie. Quand je décédai, je naquis à un endroit où j’eus tel nom, telle lignée, telle couleur, telle nourriture, où je connus tel bonheur et tel malheur, et où j’eus telle durée de vie. Quand je décédai là, je naquis ici”. Ainsi se remémore-t-il des demeures antérieures variées avec leurs aspects et leurs désignations. Ceci est sa première percée, semblable à celle du poussin qui va sortir de sa coquille.

Et quand le disciple pur, Mahânâma, est parvenu à la totale pureté de la neutralité attentive sans égale, il l’oriente vers la connaissance de la mort et de la renaissance des êtres. Avec l’œil divin purifié et plus qu’humain, il voit les êtres mourir et renaître, inférieurs ou supérieurs, beaux ou laids, fortunés ou infortunés. Il reconnaît que le parcours des êtres dépend de leur kamma : “Les êtres qui se conduisent mal physiquement, verbalement et mentalement, qui dénigrent les Purs, qui ont des croyances erronées et qui agissent en ayant des croyances erronées, accèdent, lors de la brisure du corps ou après la mort, à une perdition, une mauvaise destinée, une déchéance, un enfer. Les êtres qui se conduisent bien physiquement, verbalement et mentalement, qui ne dénigrent pas les Purs, qui ont des croyances justes et qui agissent en ayant des croyances justes, accèdent, lors de la brisure du corps ou après la mort, à une bonne destinée, un monde céleste.” C’est ainsi qu’avec l’œil divin… il reconnaît que le parcours des êtres dépend de leur kamma. Telle est sa deuxième percée, semblable à celle du poussin qui va sortir de sa coquille.

Et quand le disciple pur, Mahânâma, est parvenu à la totale pureté de la neutralité attentive sans égale, par la destruction des contaminations il voit de ses propres yeux, par connaissance directe, dans la réalité présente, la Délivrance spirituelle (cetovimutti) ou la Délivrance par la sagacité (paññāvimutti), dépourvue de toute contamination, il y accède, il y demeure. Telle est sa troisième percée, semblable à celle du poussin qui sort de sa coquille.

Pour le disciple pur, Mahânâma, être pleinement discipliné fait partie de la conduite (caraṇa, pour aller à un endroit encore jamais atteint), garder la porte de ses sens relève aussi de la conduite, connaître la juste quantité de nourriture en fait encore partie, et de même s’attacher à rester éveillé, avoir les sept qualités ressort toujours de la conduite, et aussi obtenir à volonté les quatre jhânas. Mais, pour le disciple pur, la mémoire des habitats antérieurs fait partie de la sapience (vijjā) ainsi que la connaissance de la mort et de la renaissance des êtres et la totale destruction des contaminations. Ce disciple pur est alors dit avoir atteint la sapience, être pourvu de la conduite, être muni de la sapience et de la conduite.

« Et Sanaṅkumāra le Brahma a proclamé ces vers :

À se rappeler leur lignée

Les nobles (khattiya) sont les meilleurs parmi les humains,

Mais qui a la sapience et la conduite

Est bien le meilleur des dieux et des hommes.



Ces vers de Sanaṅkumāra le Brahma ont été bien chantés, non chantés à tort, bien formulés, non formulés de travers, ils sont sensés et non ineptes, ils ont été approuvés par le Seigneur (par exemple dans l’Ambaṭṭhasutta du Dīgha Nikāya). »

Alors le Seigneur se redressa et dit au vénérable Ânanda :

—Bien, bien, Ânanda, tu as bien exposé aux Sakyas de Kapilavatthu la voie de celui qui s’exerce.

Le Maître approuva ce qu’avait dit le vénérable Ânanda.

Les Sakyas de Kapilavatthu furent satisfaits et se réjouirent des paroles du vénérable Ânanda.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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