MN 22
Alagaddūpama Sutta
— Le récit du serpent —

Un bhikkhou s'attache à déclarer que ce qui a été interdit par le Bouddha ne constitue pas vraiment une obstruction. Celui-ci le réprimande et propose une série d'allégories qui soulignent les dangers qu'il y a à mal comprendre et mal appliquer le Dhamma.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Sâvatthi, dans le Parc Anâthapiṇḍika du Bois Jéta.

Or un moine du nom d’Arittha, un ancien fauconnier, eut cette idée fausse : “Tel que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur, le simple fait de s’adonner aux choses que le Seigneur qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle ”.

Plusieurs moines apprirent que le moine Arittha avait cette idée fausse, ils allèrent le trouver et lui demandèrent :

—Est-il vrai comme on le dit, ami Arittha, que tu nourris cette idée : “Tel que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur, le simple fait de s’adonner aux choses que le Seigneur qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle” ?

—C’est bien ainsi, mes amis, que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur : le simple fait de s’adonner aux choses que le Seigneur qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle.

Désirant détourner Arittha de cette croyance fallacieuse, les moines l’interrogèrent, le pressèrent de questions et le sermonnèrent :

—Ne parle pas ainsi, ami Arittha, ne contredis pas le Seigneur car il n’est pas bon de le contredire. Le Seigneur ne parle pas ainsi, il a au contraire décrit de différentes façons les réalités qui font obstacle et il a déclaré que le simple fait de s’y adonner suffisait à faire obstacle. Il a montré que les plaisirs sensoriels n’étaient nullement délectables mais au contraire très désagréables, fortement perturbants et pleins d’inconvénients. Le Seigneur les a comparés à un tas d’os, à un morceau de viande, à une torche de paille, à une fosse pleine de braises, à un rêve, à un emprunt, à un arbre fruitier, à un billot, à un pal et à une tête de serpent, toutes choses nullement délectables mais au contraire très désagréables, fortement perturbantes et pleines d’inconvénients.

Bien qu’interrogé, pressé de questions et sermonné par les moines, Arittha s’en tenait obstinément à son idée fausse, il répétait avec entêtement : “Tel que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur, le simple fait de s’adonner aux réalités que le Seigneur qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle”.

Comme ils n’arrivaient pas à détourner le moine Arittha de sa croyance fallacieuse, les moines allèrent trouver le Seigneur. Ils le saluèrent en arrivant et s’assirent convenablement. Une fois bien assis, ces moines racontèrent au Seigneur tout ce qui s’était passé.

Alors le Seigneur s’adressa à un autre moine :

—Va de ma part, moine, convoquer le moine Arittha, l’ancien fauconnier, en lui disant : “Le Seigneur te convoque, ami Arittha”.

—Bien, Seigneur.

Le moine obéit au Seigneur, alla trouver Arittha et lui dit :

—Le Seigneur te convoque, ami Arittha.

—Bien, mon ami.

Arittha obéit, se rendit auprès du Seigneur qu’il salua en arrivant, et s’assit convenablement.

Quand il fut bien assis, le Seigneur lui demanda :

—Est-il vrai comme on le dit, ami Arittha, que tu nourris cette idée : “Tel que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur, le simple fait de s’adonner aux choses que le Seigneur qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle” ?

—C’est bien ainsi, Seigneur, que je discerne le dhamma enseigné par le Seigneur…

—A qui donc crois-tu, homme d’illusion, que j’ai enseigné le dhamma de cette façon ? N’ai-je pas décrit de différentes façons les réalités qui font obstacle ? N’ai-je pas dit que le simple fait de s’y adonner suffisait à faire obstacle ? J’ai déclaré que les désirs sensoriels n’étaient nullement délectables mais au contraire très désagréables, fortement perturbants et pleins d’inconvénients. J’ai comparé les désirs sensoriels à un tas d’os, à un morceau de viande, à une torche de paille à une fosse pleine de braises, à un rêve, à un emprunt, à un arbre fruitier, à un billot, à un pal et à une tête de serpent… Mais toi, homme d’illusion, tu m’as contredis par ta mauvaise compréhension, tu t’es discrédité et t’es créé beaucoup de démérite. Cela te vaudra, homme d’illusion, nuisance et malheur pour longtemps.

(Arittha n’est toujours pas convaincu, il pense encore que son cas n’est pas désespéré même si le Seigneur l’a traité d’homme d’illusion, et qu’il peut atteindre le But ultime à condition de fournir les efforts nécessaires. Pour le convaincre enfin de son erreur, le Seigneur prend les autres moines à témoin.)

Puis le Seigneur s’adressa aux moines :

—Qu’en pensez-vous, moines ? Ce moine Arittha a-t-il brillé dans ce ?

—Comment cela se pourrait-il, Seigneur ? Certainement pas !

A ces mots, Arittha resta muet sur son siège, accablé, les épaules tombantes, la tête baissée, anéanti, hébété. Voyant qu’Arittha restait muet sur son siège, accablé, les épaules tombantes, la tête baissée, anéanti, hébété, le Seigneur lui prédit :

—Tu resteras célèbre, homme d’illusion, pour ta croyance erronée. À présent je vais interroger les moines.

Et le Seigneur demanda aux moines :

—Comprenez-vous mon enseignement, moines, comme cet Arittha qui m’a contredit par sa mauvaise compréhension, qui s’est discrédité et s’est créé beaucoup de démérite ?

—Non, Seigneur, car le Seigneur a décrit de différentes façons les réalités qui font obstacle, le simple fait de s’y adonner suffit à faire obstacle. Le Seigneur a déclaré que les désirs sensoriels n’étaient nullement délectables mais au contraire très désagréables, fortement perturbants et pleins d’inconvénients. Le Seigneur les a comparés à un tas d’os…

—Bien, moines ! Il est bon que vous compreniez ainsi le dhamma que j’ai enseigné. Car j’ai en effet décrit de différentes façons les réalités qui font obstacle, j’ai bien dit que le simple fait de s’y adonner suffisait à faire obstacle, j’ai déclaré que les désirs sensoriels n’étaient nullement délectables mais au contraire très désagréables, fortement perturbants et pleins d’inconvénients, et je les ai comparés à un tas d’os… Et malgré cela, ce moine Arittha m’a contredit par sa mauvaise compréhension, il s’est discrédité, s’est créé beaucoup de démérite. Cela vaudra à cet homme d’illusion nuisances et malheurs pour longtemps.

« Il n’est pas possible, moines, de s’adonner aux plaisirs sensoriels sans qu’il y ait désirs sensoriels, perceptions sensorielles et pensées sensorielles.

Mais il y a, moines, des hommes d’illusion qui apprennent par cœur le dhamma—Sutta, Geyya, Veyyākarana, Gātha, Udāna, Itivuttaka, Jātaka, Abbhutadhamma, Vedalla—sans examiner avec sagacité la nature des réalités. Comme ils n’examinent pas les réalités avec sagacité, ils n’en acquièrent pas une expérience claire. Ils ne retirent de l’apprentissage du dhamma que l’avantage de reprendre autrui en lui assénant des citations, ils n’atteignent pas le But pour lequel on apprend le dhamma, et la mauvaise saisie des réalités leur vaut nuisances et malheurs pour longtemps. Pourquoi ? Parce qu’ils saisissent mal les réalités.

Supposons, moines, qu’un homme cherche un serpent et se mette en chasse pour en trouver un. Il aperçoit un grand serpent venimeux et le saisit par le corps ou par la queue, mais le serpent se retourne et le mord à la main, au bras ou à une autre partie du corps. Cet homme meurt ou éprouve des souffrances mortelles. Pourquoi ? Parce qu’il a mal saisi le serpent. De même, il y a des hommes d’illusion qui apprennent par cœur le dhamma… mais la mauvaise saisie des réalités leur vaut nuisances et malheurs pour longtemps parce qu’ils saisissent mal les réalités.

« Mais il y a aussi, moines, des fils de bonne famille qui apprennent par cœur le dhamma… En apprenant le dhamma, ils examinent avec sagacité la nature des réalités connaissables. En examinant les réalités avec sagacité, ils en acquièrent une expérience claire. Ils ne cherchent pas dans l’apprentissage du dhamma l’avantage de reprendre autrui en lui assénant des citations, ils atteignent le But pour lequel on apprend le dhamma, et la bonne saisie des réalités leur vaut bienfaits et bonheurs pour longtemps. Pourquoi ? Parce qu’ils saisissent bien les réalités.

Supposons, moines, qu’un homme cherche un serpent et se mette en chasse pour en trouver un. Il aperçoit un grand serpent venimeux, l’attrape, le tient serré avec un bâton fendu comme un sabot de bouc et le saisit solidement par le cou. Bien que le serpent entoure de ses anneaux la main, le bras ou une autre partie de son corps, cet homme n’en meurt pas et n’en éprouve pas de souffrance mortelle. Pourquoi ? Parce qu’il a bien saisi le serpent. De même, il y a des fils de bonne famille qui apprennent par cœur le dhamma… et la bonne saisie des réalités leur vaut bienfaits et bonheurs pour longtemps parce qu’ils saisissent bien les réalités.

Par conséquent, moines, comprenez et retenez le sens de mes paroles. Et si vous ne comprenez pas le sens de mes paroles, posez-moi des questions, à moi, ou à des moines avisés.

« Je vais aussi vous expliquer, moines, en quoi le dhamma est semblable à un flotteur, utile pour traverser mais ne méritant pas qu’on le garde ensuite. Ecoutez et faites bien attention, je vais parler.

—Oui, Seigneur, répondirent les moines.

Le Seigneur leur dit ceci :

—Un homme chemine sur une grand-route, moines. Il arrive en vue d’un large bras de mer. Cette rive-ci est dangereuse et redoutable, l’autre sûre et tranquille, mais il n’y a pas de barque pour traverser ni de pont pour passer sur l’autre rive. Cet homme réfléchit : “Ce bras de mer est large, cette rive-ci est dangereuse et redoutable, l’autre rive sûre et tranquille, mais il n’y a pas de barque pour traverser ni de pont pour passer sur l’autre rive. Je vais collecter des herbes, du bois, des branches et des feuilles, les lier ensemble pour en faire un flotteur sur lequel je pourrai m’allonger, et jouer des pieds et des mains pour traverser en toute sécurité”.

Cet homme collecte donc des herbes, du bois, des branches et des feuilles, il les lie pour en faire un flotteur sur lequel il s’installe, et en jouant des pieds et des mains il traverse le bras de mer en toute sécurité. Une fois arrivé sur l’autre rive, il se dit : “Ce flotteur est très utile car c’est en m’installant sur lui et en jouant des pieds et des mains que j’ai traversé en toute sécurité. Je dois maintenant le porter sur ma tête ou le charger sur mon dos et aller ainsi où je veux”. Qu’en pensez-vous, moines ? Est-ce qu’en agissant ainsi cet homme utilise convenablement le flotteur ?

—Certes non, Seigneur !

—Comment cet homme doit-il agir, moines, pour utiliser convenablement le flotteur ? Une fois le bras de mer traversé, une fois arrivé sur l’autre rive, cet homme doit se dire : “Ce flotteur est très utile car c’est en m’installant sur lui et en jouant des pieds et des mains que j’ai traversé en toute sécurité. Mais je peux maintenant le poser sur le sol ou le laisser partir sur l’eau, et j’irai ainsi où je veux.” C’est en agissant ainsi, moines, que cet homme utilise convenablement le flotteur. Je vous montre ainsi en quoi le dhamma est semblable à un flotteur, utile pour traverser mais ne méritant pas qu’on le garde ensuite. Si vous comprenez cette comparaison du flotteur, moines, vous devez abandonner les réalités. Et combien plus les non-réalités !

(Arittha a dit des sottises à propos des plaisirs sensoriels. Le Seigneur montre maintenant la source de ce type d’erreur, à savoir certaines opinions ou croyances.)

« Il y a ces six croyances, moines. Lesquelles ?

Ici, moines, un être ordinaire, ignorant, qui ne peut voir les Purs, qui ne peut connaître la Réalité pure et qui n’est pas éduqué à la Réalité pure, qui ne peut voir les Grands Hommes, qui ne peut connaître la Réalité des Grands Hommes et qui n’est pas éduqué à la Réalité des Grands Hommes, contemple une apparence physique : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome ”.

Il contemple un ressenti : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome”.

Il contemple une perception : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome”.

Il contemple des composants mentaux : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome”.

Il contemple ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il sent, ce qu’il connaît, ce qu’il atteint, ce qu’il recherche, ce qu’il examine mentalement : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome”.

Quant à la croyance “voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité”, il la contemple ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome”.

« Mais, moines, le disciple pur, instruit, qui voit les Purs, qui connaît la Réalité pure et qui est éduqué à la Réalité pure, qui voit les Grands Hommes, qui connaît la Réalité des Grands Hommes et qui est éduqué à la Réalité des Grands Hommes, contemple une apparence physique : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon moi-autonome”.

Il contemple un ressenti… une perception… des composants mentaux… ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il sent, ce qu’il connaît, ce qu’il atteint, ce qu’il recherche, ce qu’il examine mentalement… la croyance “voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité”. Tout cela il le contemple ainsi : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci

n’est pas mon moi-autonome”. Et quand il le contemple de cette façon, il ne désire pas ce qui n’est pas. »

Ainsi parla le Seigneur.

Un moine lui demanda :

—Est-il possible, Seigneur, de désirer une chose extérieure inexistante ?

—C’est possible, moine, répondit le Seigneur. Quand on pense “ceci fut à moi mais ne l’est plus” ou “cela pourrait être à moi mais je ne l’obtiens pas”. Dans ce cas on se plaint, on souffre, se lamente, se frappe la poitrine et tombe dans l’égarement. Voilà comment on peut désirer une chose extérieure inexistante.

—Est-il aussi possible, Seigneur, de ne pas désirer cette chose extérieure inexistante ?

—C’est possible aussi, moine, répondit le Seigneur. Quand on ne pense pas “ceci fut à moi mais ne l’est plus” ou “cela pourrait être à moi mais je ne l’obtiens pas”. Dans ce cas on ne se plaint pas, ne souffre pas, ne se lamente pas, ne se frappe pas la poitrine et ne tombe pas dans l’égarement. Voilà comment on peut ne pas désirer cette chose extérieure inexistante.

—Mais est-il possible, Seigneur, de désirer une chose personnelle inexistante ?

—C’est possible, moine, répondit le Seigneur. Quand on croit “voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité”. Si on entend le Tathâgata ou un disciple du Tathâgata enseigner la méthode qui permet d’éradiquer les croyances, d’éradiquer l’adhésion aux croyances, l’envahissement par les croyances et la mauvaise tendance à s’ancrer dans les croyances, qui permet d’apaiser tous les composants mentaux, de se défaire de tous les leurres, de supprimer le désir, de s’en détacher, de l’arrêter et d’atteindre le Dénouement, quand on entend tout cela, on peut penser : “Je serai donc détruit, je serai donc anéanti, je n’existerai donc plus”. Et l’on se plaint, on souffre, se lamente, se frappe la poitrine et tombe dans l’égarement. Voilà comment on peut désirer une chose personnelle inexistante.

—Est-il aussi possible, Seigneur, de ne pas désirer cette chose personnelle inexistante ?

—C’est possible, moine, répondit le Seigneur. Quand on ne croit pas “voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité”. Si on entend le Tathâgata ou un disciple du Tathâgata enseigner la méthode qui permet d’éradiquer les croyances, d’éradiquer l’adhésion aux croyances, l’envahissement pas les croyances et la mauvaise tendance à s’ancrer dans les croyances, qui permet d’apaiser tous les composants mentaux, de se défaire de tous les leurres, de supprimer le désir, de s’en détacher, de l’arrêter et d’atteindre le Dénouement, quand on entend tout cela, on ne pense pas : “Je serai donc détruit, je serai donc anéanti, je n’existerai donc plus”. Et l’on ne se plaint pas, on ne souffre pas, ne se lamente pas, ne se frappe pas la poitrine et ne tombe pas dans l’égarement. Voilà comment on peut ne pas désirer cette chose personnelle inexistante.

« Si vous vouliez, moines, acquérir une possession permanente, stable, éternelle, immuable, et la garder ainsi pour l’éternité, pourriez-vous trouver une telle possession ?

—Non Seigneur.

—Bien, moines ! Moi non plus je ne vois pas une telle possession, permanente, stable, éternelle et immuable, que je puisse garder pour l’éternité.

« Si vous vouliez, moines, vous attacher à la saisie-affirmation d’un moi-autonome sans qu’il en résulte du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir, pourriez-vous trouver, moines, une telle forme d’attachement qui ne débouche pas sur du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir ?

—Non Seigneur.

—Bien, moines ! Moi non plus je ne vois pas d’attachement à la saisie-affirmation d’un moi-autonome sans qu’il en résulte chagrin, lamentations, douleur, insatisfaction et désespoir.

« Si vous vouliez, moines, adhérer à une croyance sans qu’il en résulte du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir, pourriez-vous trouver, moines, une croyance à laquelle adhérer sans qu’il en résulte du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir ?

—Non Seigneur.

—Bien, moines ! Moi non plus je ne vois pas de croyance à laquelle je puisse adhérer sans qu’il en résulte chagrin, lamentations, douleur, insatisfaction et désespoir.

« Et, moines, s’il y a un moi, peut-il y avoir un mien ?

—Oui Seigneur.

—Et s’il y a un mien, moines, peut-il y avoir un moi ?

—Oui Seigneur.

—Mais quand on ne reconnaît aucun moi ni mien comme réels et véritables, la croyance “voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité” n’est-elle pas une pure et complète ineptie ?

—Comment, Seigneur, pourrait-elle être autre chose qu’une pure et complète ineptie?

« Que pensez-vous de ceci, moines : le physique est-il permanent ou temporaire ?

—Temporaire, Seigneur.

—Le fait qu’il soit temporaire, est-ce satisfaisant ou insatisfaisant ?

—Insatisfaisant, Seigneur.

—Et ce qui est temporaire, insatisfaisant et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome ” ?

—Certainement pas, Seigneur.

« Que pensez-vous de ceci, moines : le ressenti est-il permanent ou temporaire ?

—Temporaire, Seigneur.

—Le fait qu’il soit temporaire, est-ce satisfaisant ou insatisfaisant ?

—Insatisfaisant, Seigneur.

—Et ce qui est temporaire, insatisfaisant et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome” ?

—Certainement pas, Seigneur.

« Que pensez-vous de ceci, moines : la perception est-elle permanente ou temporaire?

—Temporaire, Seigneur.

—Le fait qu’elle soit temporaire, est-ce satisfaisant ou insatisfaisant ?

—Insatisfaisant, Seigneur.

—Et ce qui est temporaire, insatisfaisant et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome” ?

—Certainement pas, Seigneur.

« Que pensez-vous de ceci, moines : les composants mentaux sont-ils permanents ou temporaires ?

—Temporaires, Seigneur.

—Le fait qu’ils soient temporaires, est-ce satisfaisant ou insatisfaisant ?

—Insatisfaisant, Seigneur.

—Et ce qui est temporaire, insatisfaisant et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome” ?

—Certainement pas, Seigneur.

« Que pensez-vous de ceci, moines : l’état de conscience est-il permanent ou temporaire ?

—Temporaire, Seigneur.

—Le fait qu’il soit temporaire, est-ce satisfaisant ou insatisfaisant ?

—Insatisfaisant, Seigneur.

—Et ce qui est temporaire, insatisfaisant et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : “Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome” ?

—Certainement pas, Seigneur.

—Par conséquent, moines, tout physique passé, futur ou présent, personnel ou extérieur, grossier ou subtil, inférieur ou supérieur, lointain ou proche, vous devez le voir avec une juste sagacité tel qu’il est : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon moi-autonome.”

Tout ressenti… toute perception… tout composant mental… tout état de conscience… vous devez les voir avec une juste sagacité tels qu’ils sont : “Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon moi-autonome.”

Quand il voit tout cela de cette façon, moines, le disciple pur et instruit est désenchanté du physique, des ressentis, des perceptions, des composants mentaux et des états de conscience. Etant désenchanté, il se détache. En se détachant, il se délivre. Dans la Délivrance vient la connaissance “délivré”, et il reconnaît avec sagacité que la naissance est détruite, la vie sainte vécue, fait ce qui était à faire, et rien de plus ici-bas.

« On dit de ce moine qu’il a retiré l’épar, comblé le fossé, déraciné le pilier, retiré le verrou, et aussi que ce Pur a baissé le pavillon, déposé le fardeau et qu’il s’est libéré.

Et comment ce moine retire-t-il l’épar ? En retirant (le blocage par) l’aveuglement, en anéantissant sa racine, en en détruisant toute trace, en l’empêchant de resurgir et en lui interdisant toute réapparition ultérieure. Voilà comment ce moine retire l’épar.

Et comment ce moine comble-t-il le fossé ? En stoppant le cycle des naissances qui font les nouvelles existences, en en extirpant la racine, en en détruisant toute trace, en l’empêchant de resurgir et en lui interdisant toute réapparition ultérieure. Voilà comment il comble le fossé.

Et comment ce moine déracine-t-il le pilier ? En extirpant le désir, en anéantissant sa racine, en en détruisant toute trace, en l’empêchant de resurgir et en lui interdisant toute réapparition ultérieure. Voilà comment il déracine le pilier.

Et comment ce moine retire-t-il le verrou ? En défaisant les chaînes qui lient aux états inférieurs, en brisant leurs points d’attache, en les empêchant de se reformer et en leur interdisant toute reconstitution ultérieure. Voilà comment il retire le verrou.

Et comment ce Pur baisse-t-il le pavillon, dépose-t-il le fardeau et se libère-t-il ? En faisant tomber l’appréciation “je suis”, en anéantissant sa racine, en en détruisant toute trace, en l’empêchant de resurgir et en lui interdisant toute réapparition ultérieure. Voilà comment ce Pur baisse le pavillon, dépose le fardeau et se libère.

« Quand ce moine est spirituellement délivré, moines, même s’ils le cherchent, les dieux qui accompagnent Inda, Brahma ou Pajâpati ne peuvent trouver aucune base à l’état de conscience du Tathâgata. Pourquoi donc ? Parce qu’on ne peut pas trouver le Tathâgata dans la réalité présente, je l’affirme.

Bien que je l’affirme, bien que je le proclame, il se trouve des ascètes et des brahmanes pour me contredire à tort, vainement, perfidement et contrairement aux faits en déclarant que “l’ascète Gotama est un rabat-joie qui enseigne la destruction de l’être, sa ruine et son anéantissement”, alors que je décris seulement, maintenant comme par le passé, le malheur et la cessation du malheur.

« Et si sur ce point, moines, certains critiquent le Tathâgata, le menacent et l’offensent, le Tathâgata ne s’en irrite pas, ne s’en trouve pas ébranlé ni mécontent. Et si, sur ce point, d’autres admirent le Tathâgata, le révèrent, l’estiment et l’honorent, le Tathâgata n’en est pas ravi, satisfait ni exalté. S’ils admirent le Tathâgata, le révèrent, l’estiment et l’honorent, il vient au Tathâgata l’idée : “C’est pour ce qui fut pleinement connu antérieurement qu’ils me rendent de tels hommages.”

« Par conséquent, moines, si certains vous critiquent, vous menacent ou vous offensent, vous ne devez pas vous en irriter, vous non plus, ni en être ébranlés ou mécontents. Et si d’autres vous admirent, vous révèrent, vous estiment et vous honorent, vous ne devez pas en être ravis, vous non plus, ni satisfaits ni exaltés. Si d’autres vous admirent, vous révèrent, vous estiment et vous honorent, vous devez penser : “C’est pour ce qui fut pleinement connu antérieurement qu’ils nous rendent de tels hommages.”

« Par conséquent, moines, ce qui n’est pas à vous, abandonnez-le, cet abandon vous vaudra bonheurs et bienfaits pour longtemps. Et qu’est-ce qui n’est pas à vous ?

Le physique n’est pas à vous, abandonnez-le, cet abandon vous vaudra bonheur et bienfaits pour longtemps.

Le ressenti n’est pas à vous, abandonnez-le…

La perception n’est pas à vous, abandonnez-la…

Les composants mentaux ne sont pas à vous, abandonnez-les…

L’état de conscience n’est pas à vous, abandonnez-le…

« Que pensez-vous de ceci, moines ? Si un homme emportait les herbes, le bois, les branches et les feuilles de ce Bois Jéta, s’il les brûlait ou en disposait à son gré, penseriez-vous : “C’est nous que cet homme emporte, qu’il brûle ou dont il dispose à son gré” ?

—Certes non, Seigneur, car rien de tout cela n’est nous ni nôtre.

—De même, moines, abandonnez le physique… le ressenti… la perception… les composants mentaux… l’état de conscience, rien de tout cela n’est à vous, abandonnez-les, cet abandon vous vaudra bonheurs et bienfaits pour longtemps.

« Bien énoncé de cette façon, moines, mon dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, il n’y a plus de mouvement perceptible chez les moines accomplis qui ont éliminé toutes les contaminations, achevé la vie sainte, fait ce qu’ils avaient à faire, déposé le fardeau, atteint le vrai But, détruit toutes les chaînes de l’existence et qui se sont libérés par la Connaissance ultime.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous les moines qui ont éliminé les cinq chaînes inférieures atteignent le complet Dénouement dans le monde où ils renaissent par apparition et dont ils ne reviennent pas.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous les moines qui ont éliminé trois chaînes et affaibli l’attachement, l’aversion et la confusion atteignent l’état d’Un-seul-retour, ils reviendront une seule fois en ce monde avant de mettre fin au malheur.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous les moines qui ont éliminé trois chaînes entrent dans le courant, ils ne peuvent plus retomber et sont assurés d’accéder à la pleine Réalisation.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous les moines qui suivent le chemin de la sagacité ou celui de la confiance finissent par atteindre la pleine Réalisation.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous ceux qui ont simplement confiance en moi ou qui m’aiment finissent par atteindre le ciel. »

Ainsi parla le Seigneur.

Les moines furent satisfaits des paroles du Seigneur et ils s’en réjouirent.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

———oOo———
Publié comme un don du Dhamma,
pour être distribué librement, à des fins non lucratives.
©2015 Christian Maës. Toute réutilisation de ce contenu doit citer ses sources originales.