MN 11
Cūḷasīhanāda Sutta
— Le petit récit du rugissement du lion —

Les quatre types d'êtres nobles n'existent que dans la communauté du Bouddha. Voici comment son enseignement peut être distingués des autres par son rejet des doctrines postulant l'existence du soi.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Sâvatthi, dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta.

En cette circonstance le Seigneur s’adressa aux moines :

—Moines !

—Oui, Seigneur, lui répondirent les moines.

—Voici, moines, le rugissement léonin que vous pouvez pousser à juste titre : “On ne trouve qu’ici le (premier) ascète, on ne trouve qu’ici le deuxième ascète, on ne trouve qu’ici le troisième ascète, on ne trouve qu’ici le quatrième ascète, les autres écoles ne comptent pas de tels ascètes”.

Il peut se trouver, moines, que les renonçants des autres écoles vous demandent : “Qu’est-ce qui vous inspire, vénérables, où trouvez-vous la force pour affirmer que l’on trouve seulement ici le premier, le deuxième, le troisième et le quatrième ascètes, et que les autres écoles ne comptent pas de tels ascètes ?”

Aux renonçants des autres écoles qui vous poseraient cette question, moines, il faudrait répondre : “Le Seigneur, mes amis, qui sait, qui voit, qui est accompli et parfait Bouddha, nous a énuméré quatre facteurs que nous observons en nous d’une façon qui nous permet de formuler cette affirmation. Lesquels ? Il y a la confiance dans le Maître, il y a la confiance dans le dhamma, il y a la perfection de la discipline et il y a nos confrères que nous aimons et chérissons, qu’ils soient laïcs ou renonçants. Tels sont les quatre facteurs que nous a énumérés le Seigneur qui sait, qui voit, qui est accompli et parfait Bouddha, et que nous observons en nous d’une façon qui nous permet de formuler cette affirmation”.

« Il peut se trouver aussi, moines, que les renonçants des autres écoles vous rétorquent : “Nous aussi, mes amis, nous avons confiance dans le maître, il est notre maître ; nous aussi nous avons confiance dans le dhamma, c’est notre dhamma ; nous aussi nous parachevons les disciplines qui sont les nôtres ; nous aussi nous avons des confrères, laïcs et renonçants, que nous aimons et chérissons. Quelle différence y a-t-il entre vous et nous, quelle distinction, quelle discordance ?” Aux renonçants des autres écoles qui vous poseraient cette question, moines, il faudrait demander : “L’ultime achèvement (niṭṭhā) est-il unique ou multiple ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que l’ultime achèvement est unique et non multiple.

(Il faudrait alors leur demander) : “Mais cet achèvement, mes amis, concerne-t-il ceux qui sont passionnés (sarāga) ou ceux qui sont dépassionnés ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que cet achèvement concerne ceux qui sont dépassionnés et non ceux qui sont passionnés.

“Et cet achèvement, mes amis, concerne-t-il ceux qui ont de l’aversion (sadosa) ou ceux qui ont chassé l’aversion ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que cet achèvement concerne ceux qui ont chassé l’aversion et non ceux qui en ont.

“Cet achèvement, mes amis, concerne-t-il ceux qui ont de la confusion (samoha) ou ceux qui ont chassé la confusion ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que cet achèvement concerne ceux qui ont chassé la confusion et non ceux qui en ont.

“Cet achèvement, mes amis, concerne-t-il ceux qui ont du désir (sataṇha) ou ceux qui ont chassé le désir ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que cet achèvement concerne ceux qui ont chassé le désir et non ceux qui en ont.

“Cet achèvement, mes amis, concerne-t-il ceux qui ont de l’attachement (saupādāna) ou ceux qui ont chassé l’attachement ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que cet achèvement concerne ceux qui ont chassé l’attachement et non ceux qui en ont.

“Cet achèvement, mes amis, concerne-t-il les savants (viddasu) ou les ignorants ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que cet achèvement concerne les savants et non les ignorants.

“Cet achèvement, mes amis, concerne-t-il ceux qui approuvent ou rejettent (telle ou telle croyance), ou ceux qui n’approuvent ni ne rejettent ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que cet achèvement concerne ceux qui n’approuvent ni ne rejettent et non ceux qui approuvent ou rejettent.

“Cet achèvement, mes amis, concerne-t-il ceux qui aiment la diversité et y prennent plaisir ou ceux qui n’aiment pas la diversité et n’y prennent pas plaisir ?” S’ils répondent correctement, les renonçants des autres écoles diront que cet achèvement concerne ceux qui n’aiment pas la diversité et n’y prennent pas plaisir et non ceux qui aiment la diversité et y prennent plaisir.

« Il y a deux croyances, moines, la croyance à l’existence et la croyance à la disparition. Les ascètes et les brahmanes qui sont attirés par la croyance à l’existence, qui y adhèrent et s’y attachent éprouvent tous de l’aversion pour la croyance à la disparition. Et les ascètes et les brahmanes qui sont attirés par la croyance à la disparition, qui y adhèrent et s’y attachent éprouvent tous de l’aversion pour la croyance à l’existence.

Les ascètes et les brahmanes, moines, qui ne connaissent pas avec sagacité et véracité la source de ces deux croyances, leur cessation, leurs avantages, leurs inconvénients et la façon d’en sortir, ceux-là ont tous des passions, de l’aversion, de la confusion, du désir et de l’attachement, ils sont sots, approuvent ou rejettent, aiment la diversité et y prennent plaisir, ils ne se libèrent pas de la naissance, du vieillissement et de la mort, du chagrin, des lamentations, de l’insatisfaction et du désespoir, ils ne se libèrent pas du malheur, je l’affirme.

Mais, moines, les ascètes et les brahmanes qui connaissent avec sagacité et véracité la source de ces deux croyances, leur cessation, leurs avantages, leurs inconvénients et la façon d’en sortir, ceux-là ont tous chassé les passions, l’aversion, la confusion, le désir et l’attachement, ils sont sages, n’approuvent ni ne rejettent, n’aiment pas la diversité et n’y prennent pas plaisir, ils se libèrent de la naissance, du vieillissement et de la mort, du chagrin, des lamentations, de l’insatisfaction et du désespoir, ils se libèrent du malheur, je l’affirme.

« Il y a quatre formes d’attachement, moines. Lesquels ? Il y a l’attachement aux plaisirs sensoriels, l’attachement aux croyances, l’attachement aux comportements et aux rites, et la saisie-affirmation d’un moi permanent.

Il y a, moines, des ascètes et des brahmanes qui disent connaître pleinement tous les attachements (et même les transcender), ils pensent les connaître mais ne les connaissent pas vraiment : ils connaissent parfaitement l’attachement aux plaisirs sensoriels mais pas l’attachement aux croyances, l’attachement aux comportements et aux rites ni la saisie-affirmation d’un moi permanent. Pourquoi cela ? Parce que ces honorables ascètes et brahmanes ne connaissent pas ces trois-là avec sagacité et dans leur véracité. Ils disent donc connaître pleinement tous les attachements, pensent les connaître mais ne les connaissent pas tous, ils connaissent bien l’attachement aux plaisirs sensoriels mais pas les trois autres.

Il y a, moines, d’autres ascètes et brahmanes qui disent connaître pleinement tous les attachements, ils pensent les connaître mais ne les connaissent pas bien : ils connaissent parfaitement l’attachement aux plaisirs sensoriels et l’attachement aux croyances mais pas l’attachement aux comportements et aux rites ni la saisie-affirmation d’un moi permanent. Pourquoi cela ? Parce qu’ils ne connaissent pas ces deux derniers avec sagacité et dans leur véracité. Ils disent donc connaître pleinement tous les attachements, pensent les connaître mais ne les connaissent pas tous, ils connaissent bien les deux premiers mais pas les deux autres.

« Il y a aussi, moines, des ascètes et des brahmanes qui disent connaître pleinement tous les attachements, ils pensent les connaître mais ne les connaissent pas bien : ils connaissent parfaitement l’attachement aux plaisirs sensoriels, l’attachement aux croyances ainsi que l’attachement aux comportements et aux rites mais pas la saisie-affirmation d’un moi permanent. Pourquoi cela ? Parce qu’ils ne connaissent pas ce dernier avec sagacité et dans sa véracité. Ils disent donc connaître pleinement tous les attachements, pensent les connaître mais ne les connaissent pas tous, ils connaissent bien les trois premiers mais pas le dernier.

« Dans un tel, moines, on ne peut proclamer que la confiance dans le maître soit juste, on ne peut proclamer que la confiance dans le dhamma soit juste, on ne peut proclamer que la perfection dans les disciplines soit juste, on ne peut proclamer que l’amour et l’affection envers les confrères, laïcs ou renonçants, soit juste. Pourquoi ? Parce qu’il en va ainsi quand le est mal énoncé, mal compris, sans issue, qu’il ne mène pas à l’Apaisement (upasama) et n’est pas proclamé par un parfait Bouddha.

En revanche, moines, le Tathâgata accompli et parfait Bouddha dit connaître pleinement tous les attachements, il estime les connaître et les connaît effectivement tous : il connaît pleinement l’attachement aux plaisirs sensoriels, il connaît pleinement l’attachement aux croyances, il connaît pleinement l’attachement aux comportements et aux rites, il connaît pleinement la saisie-affirmation d’un moi permanent.

On peut affirmer, moines, que dans ce la confiance dans le Maître est juste, on peut affirmer que la confiance dans le dhamma est juste, on peut affirmer que la perfection dans les disciplines est juste, on peut affirmer que l’amour et l’affection envers les confrères, laïcs et renonçants, est juste. Pourquoi ? Parce qu’il en va ainsi quand le est bien énoncé, bien compris, débouche (sur le but), mène à l’apaisement et est proclamé par un parfait Bouddha.

« Quelle est donc la base de ces quatre attachements, moines, quelle en est la source, quelle en est l’origine, quelle en est la genèse ? C’est la soif (taṇhā) qui en est la base, la source, l’origine, la genèse.

Et quelle est la base de la soif, moines, quelle en est la source, quelle en est l’origine, quelle en est la genèse ? C’est le ressenti qui en est la base, la source, l’origine, la genèse.

Et quelle est la base du ressenti, moines, quelle en est la source, quelle en est l’origine, quelle en est la genèse ? C’est le contact (entre les sens et les objets des sens) qui en est la base, la source, l’origine, la genèse.

Et quelle est la base du contact, moines, quelle en est la source, quelle en est l’origine, quelle en est la genèse ? C’est le psychique-et-physique qui en est la base, la source, l’origine, la genèse.

Et quelle est la base du psychique-et-physique, moines, quelle en est la source, quelle en est l’origine, quelle en est la genèse ? C’est l’état de conscience qui en est la base, la source, l’origine, la genèse.

Et quelle est la base de l’état de conscience, moines, quelle en est la source, quelle en est l’origine, quelle en est la genèse ? C’est l’activité intentionnelle qui en est la base, la source, l’origine, la genèse.

Et quelle est la base de l’activité intentionnelle, moines, quelle en est la source, quelle en est l’origine, quelle en est la genèse ? C’est l’aveuglement qui en est la base, la source, l’origine, la genèse.

Quand l’aveuglement (avijjā) est éliminé, moines, et que la sapience (vijjā) paraît, cet abandon de l’aveuglement et cette apparition de la sapience fait que le moine ne s’attache plus aux plaisirs sensoriels, ne s’attache plus aux croyances, ne s’attache plus aux comportements et aux rites, ne s’attache plus à la saisie-affirmation d’un moi permanent. Comme il n’est plus attaché, il n’est plus tourmenté par rien. Comme il n’est plus tourmenté, il atteint par lui-même le complet Dénouement, il reconnaît avec sagacité que la naissance est détruite, la vie sainte achevée, fait ce qui était à faire et rien de plus ici-bas. »

Ainsi parla le Seigneur.

Les moines furent satisfaits et se réjouirent des paroles du Seigneur.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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