MN 2
Sabbāsava Sutta
— Le récit de toutes les contaminations —

Un exposé détaillé sur les différentes pratiques qui permettent de dissoudre toutes les impuretés mentales et d'atteindre la délivrance ultime, en tête desquelles les considérations à bon escient.




Traduction de Christian Maës


Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Seigneur séjournait près de Sâvatthi, dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta.

En cette occasion le Seigneur s’adressa aux moines :

—Moines !

—Oui, Seigneur, lui répondirent les moines.

Le Seigneur leur dit :

—Je vais vous enseigner, moines, comment éliminer toutes les contaminations. Ecoutez et faites bien attention, je vais parler.

—Bien, Seigneur, répondirent les moines.

Et le Seigneur leur dit ceci :

—J’enseigne, moines, l’élimination des contaminations à celui qui connaît et qui voit, non à celui qui ne connaît pas et ne voit pas. Que connaît-il donc, que voit-il donc, qui lui permette d’éliminer les contaminations ? La considération juste (yoniso manasikāra) et la considération fausse. À cause d’une mauvaise prise en considération, les contaminations non encore apparues apparaissent et les contaminations déjà apparues augmentent. Mais grâce à une juste prise en considération, les contaminations non encore apparues n’apparaissent pas et les contaminations apparues disparaissent.

Il y a, moines, des contaminations qu’il faut éliminer par la vision, des contaminations qu’il faut éliminer par le contrôle, des contaminations qu’il faut éliminer par un bon usage, des contaminations qu’il faut éliminer par une acceptation patiente, des contaminations qu’il faut éliminer par la prudence, des contaminations qu’il faut éliminer par le rejet et des contaminations qu’il faut éliminer par le développement.

« Quelles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par la vision (dassana) ?

Ici, moines, un être ordinaire, ignorant, qui ne peut voir les Purs, qui ne peut connaître la réalité pure et qui n’est pas éduqué à la réalité pure, qui ne peut voir les Grands Hommes, qui ne peut connaître la réalité des Grands Hommes et qui n’est pas éduqué à la réalité des Grands Hommes, ne sait pas avec sagacité quelles réalités prendre en considération ni quelles réalités ne pas prendre en considération. Comme il ne le sait pas, il prend en considération des réalités qu’il ne devrait pas prendre en considération, et il ne prend pas en considération celles qu’il devrait prendre en considération.

« Quelles sont donc, moines, les réalités qu’il prend en considération alors qu’il ne le devrait pas ? Celles dont la prise en considération permet à la contamination par les sens non encore apparue d’apparaître et à celle qui est apparue d’augmenter, à la contamination par l’existence, non encore apparue, d’apparaître et à celle qui est apparue d’augmenter, à la contamination par l’aveuglement non encore apparue d’apparaître et à celle qui est apparue d’augmenter. Telles sont les réalités qu’il prend en considération alors qu’il ne le devrait pas.

Et quelles sont, moines, les réalités qu’il ne prend pas en considération alors qu’il le devrait ? Celles dont la prise en considération amènerait la contamination par les sens non encore apparue à ne pas apparaître et celle qui est apparue à disparaître, la contamination par l’existence, non encore apparue, à ne pas apparaître et celle qui est apparue à disparaître, la contamination par l’aveuglement non encore apparue à ne pas apparaître et celle qui est apparue à disparaître. Telles sont les réalités qu’il ne prend pas en considération alors qu’il le devrait.

Comme il prend en considération des réalités qu’il ne devrait pas prendre en considération et qu’il ne prend pas en considération les réalités qu’il devrait prendre en considération, les contaminations non encore apparues apparaissent et les contaminations apparues augmentent.

Ainsi prend-il à tort en considération les questions suivantes : “Ai-je existé dans le passé ? N’ai-je pas existé dans le passé ? Qu’étais-je dans le passé ? Comment étais-je dans le passé ? Par quelle succession d’étapes suis-je passé ? Existerai-je dans l’avenir ? N’existerai-je pas dans l’avenir ? Que serai-je dans l’avenir ? Comment serai-je dans l’avenir ? Par quelles étapes passerai-je dans l’avenir ?”

Ou bien il s’interroge sur le présent : “Existé-je ? N’existé-je pas ? Que suis-je ? Comment suis-je ? D’où vient cet être ? Où va-t-il ?”

Ces considérations ineptes suscitent l’une des six croyances suivantes : croire fermement qu’on a un moi permanent, croire fermement qu’on n’a pas de moi permanent, croire fermement qu’un moi permanent est perçu par un moi permanent, croire fermement que l’absence de moi permanent est perçue par un moi permanent, croire fermement qu’un moi permanent est perçu par une absence de moi permanent, ou croire ce qui suit : “Ce moi permanent qui est le mien, qui parle et qui ressent, fait dans telle ou telle situation l’expérience de l’effet du bon et du mauvais kamma ; ce moi permanent qui est le mien est éternel, stable, permanent et de nature immuable, il est semblable aux choses éternelles et restera ainsi”. Voilà ce qu’on appelle croyance, piège des croyances, danger des croyances, fausseté des croyances, incertitude des croyances, chaîne des croyances.

« Quand il est prisonnier de la chaîne des croyances, l’être ordinaire et ignorant ne se libère pas de la naissance, du vieillissement, de la mort, du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir, il ne se libère pas du désagrément, je l’affirme.

« En revanche, moines, le disciple pur et instruit, qui voit les Purs, qui connaît la réalité pure, qui est éduqué dans la réalité pure, qui voit les Grands Hommes, qui connaît la réalité des Grands Hommes et qui est éduqué dans la réalité des Grands Hommes, sait quelles réalités prendre en considération et quelles réalités ne pas prendre en considération.

Quelles sont, moines, les réalités à ne pas prendre en considération qu’il ne prend pas en considération ? Ce sont celles dont la prise en considération permettrait à la contamination par les sens, à la contamination par l’existence et à la contamination par l’aveuglement non encore apparues d’apparaître et à ces mêmes contaminations, apparues, d’augmenter. Telles sont les réalités à ne pas prendre en considération qu’il ne prend pas en considération.

Et quelles sont, moines, les réalités à prendre en considération qu’il prend en considération ? Celles dont la prise en considération amène la contamination par les sens, la contamination par l’existence et la contamination par l’aveuglement non encore apparues à ne pas apparaître et les mêmes contaminations, apparues, à disparaître. Telles sont les réalités à prendre en considération qu’il prend en considération.

Comme il ne prend pas en considération les réalités à ne pas prendre en considération et qu’il prend en considération les réalités à prendre en considération, les contaminations non encore apparues n’apparaissent pas et les contaminations apparues disparaissent.

Il considère correctement : “Ceci est le désagrément (dukkha)”, il considère correctement : “Ceci est la source du désagrément”, il considère correctement : “Ceci est l’arrêt du désagrément”, et il considère correctement : “Ceci est le chemin qui mène à l’arrêt du désagrément”. Cette considération correcte élimine trois chaînes : la croyance à la personne, l’hésitation et la méprise relative aux observances et aux rites.

Telles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par la vision.

« Et quelles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par le contrôle (saṁvara) ?

Ici, moines, c’est avec un discernement judicieux que le moine maintient un contrôle vigilant sur la faculté de voir… sur la faculté d’entendre… sur la faculté de sentir… sur la faculté de goûter… sur la faculté de toucher… et sur la faculté de connaître. S’il ne maintenait pas le contrôle sur ces facultés, des contaminations perturbantes et grisantes pourraient se produire. Mais comme il maintient un contrôle vigilant sur ces facultés, ces contaminations ne se produisent pas.

Telles sont les contaminations qu’il faut éliminer par le contrôle.

« Et quelles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par un bon usage (paṭisevana) ?

Ici, moines, c’est avec un discernement judicieux que le moine utilise le vêtement, uniquement pour se protéger du froid, de la chaleur et du contact des taons, des mouches, du vent, de la fournaise et des reptiles, seulement pour cacher les parties impudiques.

Il mange la nourriture avec un discernement judicieux, non pour jouer, pour se stimuler, s’embellir ou resplendir, mais seulement pour soutenir le corps et l’entretenir, pour arrêter l’agression (de la faim) et persévérer dans la vie sainte : “J’éliminerai ainsi l’ancien ressenti (la faim), j’éviterai un nouveau ressenti (l’indigestion) et mon mode de vie sera irréprochable et confortable”.

Il utilise le logement avec un discernement judicieux, seulement pour se protéger du froid, de la chaleur, du contact des taons, des mouches, du vent, de la fournaise et des reptiles, seulement pour écarter le danger de la température et jouir de la retraite.

Il utilise les médicaments contre la maladie avec un discernement judicieux, seulement pour chasser les ressentis morbides et pour guérir.

S’il ne faisait pas un bon usage de tout cela, des contaminations perturbantes et grisantes pourraient se produire. Mais comme il en fait bon usage, ces contaminations ne se produisent pas.

Telles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par un bon usage.

« Et quelles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par une acceptation patiente (adhivāsana) ?

Ici, moines, c’est avec un discernement judicieux que le moine endure le froid et le chaud, la faim et la soif, le contact des taons, des mouches, du vent, de la brûlure et des reptiles, les paroles blessantes ou déplaisantes ; il est capable de supporter des douleurs oppressantes, cruelles, aiguës, déplaisantes ou même mortifères. S’il n’endurait pas tout cela patiemment, des contaminations perturbantes et grisantes pourraient se produire. Mais comme il l’accepte, ces contaminations ne se produisent pas.

Telles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par une acceptation patiente.

« Et quelles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par la prudence (parivajjana) ?

Ici, moines, c’est avec un discernement judicieux que le moine évite les éléphants dangereux, les chevaux fous, les taureaux furieux, les chiens enragés, les serpents, les souches, les épineux, les fosses, les talus, les décharges et les bourbiers. Avec un discernement judicieux il évite de prendre un siège dans un endroit à éviter, de chercher sa nourriture dans des lieux mal famés ou de frayer avec de mauvais amis, quand ce siège, cette fréquentation ou ces mauvais amis pourraient inciter ses sages compagnons dans la vie sainte à le plaindre.

S’il n’évitait pas tout cela, des contaminations perturbantes et grisantes pourraient se produire. Mais comme il l’évite, ces contaminations ne se produisent pas.

Telles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par la prudence.

« Et quelles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par le rejet (vinodana) ?

Ici, moines, c’est avec un discernement judicieux que le moine n’accepte pas les pensées de désir : quand une telle pensée apparaît, il la rejette, la repousse, l’élimine et l’anéantit. Il n’accepte pas les pensées de haine : quand une telle pensée apparaît, il la rejette, la repousse, l’élimine et l’anéantit. Il n’accepte pas les pensées malveillantes : quand une telle pensée apparaît, il la rejette, la repousse, l’élimine et l’anéantit. Il n’accepte pas que des agents mentaux (dhamma) mauvais et pernicieux apparaissent de façon répétée : quand de tels agents se manifestent, il les rejette, les repousse, les élimine et les anéantit.

S’il ne les rejetait pas, des contaminations perturbantes et grisantes pourraient se produire. Mais comme il les rejette, ces contaminations ne se produisent pas.

Telles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par le rejet.

« Et quelles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer par le développement (bhāvanā) ?

Ici, moines, c’est avec un discernement judicieux que le moine développe le facteur-d’éveil vigilance qui s’appuie sur l’isolement, s’appuie sur le détachement, s’appuie sur l’arrêt et tend au renoncement. Avec un discernement judicieux il développe les facteurs-d’éveil examen-des-agents… vigueur… ravissement… tranquillité… concentration… regard-neutre, qui s’appuient sur l’isolement, s’appuient sur le détachement, s’appuient sur l’arrêt et tendent au renoncement.

S’il ne développait pas ces facteurs, des contaminations perturbantes et grisantes pourraient se produire. Mais comme il les développe, ces contaminations ne se produisent pas.

Telles sont, moines, les contaminations qu’il faut éliminer en développant.

« Et, moines, quand il a éliminé par la vision les contaminations qu’il faut éliminer par la vision, éliminé par le contrôle les contaminations qu’il faut éliminer par le contrôle, éliminé par un bon usage les contaminations qu’il faut éliminer par un bon usage, éliminé par une acceptation patiente les contaminations qu’il faut éliminer par une acceptation patiente, éliminé par la prudence les contaminations qu’il faut éliminer par la prudence, éliminé par le rejet les contaminations qu’il faut éliminer par le rejet, éliminé par le développement les contaminations qu’il faut éliminer par le développement, le moine est réputé avoir endigué toutes les contaminations, coupé toute soif, défait toutes les chaînes et mis fin au désagrément par une juste compréhension-élimination de ce que représente l’estime (de soi). »

Ainsi parla le Seigneur.

Les moines furent satisfaits et se réjouirent des paroles du Seigneur.





Bodhi leaf


Traduit du Pāḷi par Christian Maës.

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